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Ce peintre avait inauguré une nouvelle manière de peindre sur la pierre, qui plaisait beaucoup au commun, et lui faisait croire que dans ce genre les peintures seraient d’une éternelle durée, et que, ni le feu ;, ni les vers ne pourraient les attaquer. Il exécuta quantité de peintures analogues, en les entourant de cadres en pierres variées, ce qui faisait un effet merveilleux ; mais on reconnut qu’une fois terminées, ni peintures, ni cadres, à cause de leur grand poids, ne pouvaient être remués, ni transportés, si ce n’est avec grande difficulté. Quantité de gens d’ailleurs avaient donné des arrhes au peintre, afin qu’il travaillât pour eux ; mais, comme il préférait discuter qu’agir, il traînait tout en longueur. Il exécuta néanmoins, sur une pierre ornée d’un cadre de même nature, un beau Christ mort, avec la Vierge, que don Ferrante Gonzaga envoya en Espagne[1]. Où il est vraiment à louer, c’est dans sa découverte d’empêcher les couleurs à l’huile sur muraille de pousser au noir et de vieillir si vite. Ce secret avait été vainement cherché par son compatriote Domenico, qui fut le premier à peindre à l’huile sur le mur, par Andrea dal Castagno, et par Antonio et Piero del Pollaiuolo. Sa Flagellation du Christ, de San Piero a Montorio, n’a pas bougé, et a conservé la vigueur et la fraîcheur qu’elle avait le premier jour. Pour repousser l’humidité, il employait un enduit composé de mastic, de poix grecque et de chaux vive, qui, fondu au feu et posé ensuite sur la muraille, était aplani avec une truelle rougie au feu ; il se servait également de cette préparation pour travailler sur le pépérin, le marbre, le porphyre et d’autres pierres. Il a en outre montré la manière de peindre sur les métaux, tels que l’argent, le cuivre et l’étain.

Mais cet homme avait tant de plaisir à se creuser la cervelle et à causer, qu’il passait des journées entières à ne pas travailler ; il s’imaginait que, quelque prix qu’on lui donnât de ses ouvrages, on ne les payait jamais assez. Pour le cardinal Rangoni, il représenta, sur un tableau, une très belle sainte Agathe nue et ayant les mamelles coupées[2] ; cette peinture, qui ne cède en rien aux plus belles de Raphaël et de Titien, appartient maintenant à Guidobaldo, duc d’Urbin. Il fit encore sur pierre, d’après l’original, le portrait à l’huile du seigneur Pietro Gonzaga, mais il mit trois ans à le terminer. À cette époque, Clément VII étant pape et Michel-Ange se trouvant à Florence, où il était occupé aux travaux de la nouvelle sacristie de San Lorenzo, Giuliano Bugiardini voulait faire, pour Baccio Valori,

  1. Actuellement à l’Escurial ; terminé en 1539.
  2. Actuellement au palais Pitti, signé, daté MDXX.