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couvre les traits tracés, en mettant à leurs places les clairs, les foncés et les couleurs intermédiaires, ainsi que les reflets que l’on obtient par des mélanges des trois couleurs indiquées avec des lumières. La place de toutes ces couleurs est déduite du carton, qui est un autre dessin fait auparavant pour servir de guide. Il est nécessaire que ce carton soit exécuté avec une bonne disposition et un sûr dessin, autant qu’avec du jugement et de l’invention. La disposition n’est autre chose en peinture que le fait d’avoir réparti l’espace autour de la figure que l’on exécute, de manière que les intervalles soient tels que les veut le jugement de l’œil, et ne soient pas disproportionnés, que le fond soit occupé dans un endroit et vide dans un autre. Cette propriété provient du dessin, et d’avoir reproduit soit des figures vivantes, soit des modèles de figures appropriées à ce que l’on veut faire. Ce dessin ne peut pas avoir une bonne origine si l’on ne s’est pas astreint continuellement à dessiner des objets de la nature, à étudier les peintures d’excellents maîtres, ou des statues antiques, comme nous l’avons déjà dit tant de fois. Mais ce qui est supérieur à tout, c’est la reproduction du corps nu d’hommes ou de femmes en vie, et d’avoir gravé dans sa mémoire, par l’application continuelle, les muscles du torse, du dos, des jambes, des bras, des genoux et le squelette qu’ils recouvrent. Si l’on a acquis une sûreté suffisante, à force de longues études, il est possible, sans avoir le modèle devant les yeux, d’imaginer des attitudes diverses. Mais il faut avoir vu des hommes écorchés, pour savoir la place exacte des os, des muscles et des nerfs, en un mot, connaître l’anatomie, pour pouvoir, avec plus de sûreté et d’exactitude, placer les membres du corps et les muscles des personnages. Ceux qui ont acquis cette connaissance font parfaitement, de toute nécessité, les contours des figures qui, si elles sont dessinées comme elles doivent l’être, ont bonne grâce et belle manière. Celui qui étudie les belles peintures et sculptures qui remplissent ces conditions, s’il entend parfaitement le nu, peut être assuré qu’il aura un bon style dans l’art. De là provient l’invention qui fait grouper dans un sujet quatre, six, dix, vingt figures, en sorte qu’on arrive à représenter les batailles et les autres grands sujets de l’art. Cette invention demande une certaine convenance formée de concordance et de réciprocité. Si une figure fait le geste d’en saluer une autre, il ne faut pas que cette deuxième figure soit tournée en sens inverse, puisqu’elle doit correspondre à la première, et ainsi de suite pour le reste.

Que le tableau soit plein d’objets, variés et différents les uns des autres, mais toujours en correspondance avec le sujet que l’artiste