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œuvre à l’autre, afin qu’il éprouvât moins de dégoût (ce qui arrive à beaucoup d’autres) à s’occuper toujours de la même chose. Bien qu’il ne mît point en œuvre les cartons dont nous avons parlé plus haut, il fit néanmoins quelques peintures, entre autres un tableau[1] pour les religieuses de San Domenico, à Florence, dont il fut si content que bientôt après il peignit, à San Salvi, pour les religieux de Vallombrosa, un Baptême du Christ[2]. Dans cette œuvre où il fut aidé par Léonard de Vinci, alors très jeune et son disciple, celui-ci peignit un ange infiniment supérieur au reste du tableau, ce qui fut cause qu’Andrea se décida à ne plus toucher à ses pinceaux, Léonard, si jeune, l’ayant surpassé dans son art.

À cette époque[3] les Vénitiens désiraient honorer le grand talent militaire de Bartolommeo de Bergame[4], grâce auquel ils avaient remportés de nombreuses victoires ; ce faisant, ils stimulaient aussi leurs autres généraux. Ayant appris la renommée d’Andrea, il l’appelèrent à Venise où il reçut l’ordre de faire en bronze la statue équestre de ce capitaine, destinée à être posée sur la place San Giovanni e Paolo. Andrea, ayant donc fait le modèle du cheval, avait commencé les armatures pour le couler en bronze, quand, par l’entremise de quelques gentilshommes, il fut décidé que Vellano de Padoue ferait la statue et Andrea le cheval. À cette nouvelle, Andrea, après avoir brisé les jambes et la tête à son modèle, parti, tout indigné, pour Florence, sans souffler mot. Ce qu’apprenant, la Seigneurie lui fit savoir de ne pas avoir la hardiesse de revenir à Venise, sous peine d’avoir la tête tranchée. Andrea répondit qu’il s’en garderait bien, sachant qu’il n’était pas en leur pouvoir de rattacher sur les épaules d’un homme la tête qu’ils en auraient une fois détachée, ni d’en faire une semblable à la sienne, tandis que, ajoutait-il, il lui était facile d’en rendre une à son cheval, beaucoup plus belle que celle qu’il avait brisée. Après cette réponse qui ne déplut pas aux seigneurs, on le rappela à Venise avec une double provision. Ayant donc réparé le premier modèle, il coula la statue. Mais il ne put la terminer, parce que, s’étant échauffe à cette opération et refroidi ensuite, il mourut dans cette ville, au bout de peu de jours. L’œuvre restait inachevée[5], bien qu’il y eût peu de choses à y faire

  1. Tableau inconnu.
  2. Actuellement à l’Académie des Beaux Arts.
  3. Délibération du Sénat vénitien, à la date du 30 juillet 1479.
  4. Appelé le Colleone.
  5. D’après son testament, le modèle n’était même pasachevé et il chargea Lorenzo di Credi de le terminer. Alessandro Leopardi fit la fonte et posa la statue, le 26 mars