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mes paroles l’autorité que l’on voudra. J’espère qu’on ne me taxera ni de présomption, ni d’ignorance, ne traitant pas des arts autres que le mien, comme ont fait quantité d’hommes qui voulaient se faire prendre par le public pour connaisseurs universels, moyennant leurs écrits, ce qui arriva, entre autres, à Phormion, philosophe péripatéticien d’Éphèse, qui glorieux de son éloquence, pérorait et dissertait sur le génie et les connaissances nécessaires aux grands capitaines et qui fit rire Annibal, non moins de sa présomption que de son ignorance. Je dirai donc que la sculpture et la peinture sont en réalité sœurs, nées d’un même père qui est le dessin, qu’elles ont vu le jour ensemble et dans un même moment, qu’aucune ne précède l’autre, sinon autant que le talent et la force de ceux qui les exercent font passer un artiste avant l’autre, et qu’il n’y a aucune différence ou degré de noblesse entre ces deux arts. Bien que par la différence de leur essence, ils offrent l’un et l’autre beaucoup de facilités, ils ne sont pourtant pas tels, ni de telle sorte qu’on puisse avec raison les comparer l’un à l’autre. Qui voudra les faire primer l’un l’autre montrera plus de passion et d’opiniâtreté que de jugement. Aussi’ peut-on dire avec raison qu’une même âme dirige deux corps, et je conclus pour cela que c’est mal agir que s’ingénier à les désunir et à les séparer. Le ciel, voulant nous en préserver, et montrer la fraternité et l’union de ces deux arts si nobles, a fait qu’en divers temps quantités de sculpteurs ont peint, et quantité de peintres ont fait de la sculpture, ce que l’on verra dans la vie d’Antonio del Pollaiolo, de Léonard de Vinci, et de quantité de maîtres du temps passé. À notre époque, la bonté divine nous a donné Michel-Ange Buonarroti, dans lequel ces deux arts ont brillé d’une telle splendeur, et ont paru si semblables et si unis, que les peintres s’émerveillent de ses peintures et que les sculpteurs admirent ses sculptures et les vénèrent souverainement. Pour qu’il n’eût pas peut-être à chercher d’autre maître qui lui bâtit des édifices destinés à contenir ses œuvres, la nature lui a octroyé en don la science de l’architecture si largement qu’il put se passer d’autrui et donner à ses œuvres un cadre aussi honorable que digne d’elles. Aussi peut-on l’appeler à juste titre sculpteur unique, peintre parfait et excellent architecte, vrai maître de l’architecture. Nous pouvons affirmer qu’ils ne se trompent pas ceux qui l’appellent divin, puisqu’il a réuni divinement en lui-même les trois arts les plus honorables et les plus ingénieux qui se voient sur la terre et qu’à l’exemple d’un dieu, il a pu en tirer pour nous des ressources infinies. Que cela suffise pour la discussion et pour ce que j’ai à en dire.