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C’est ainsi qu’ils ont imité, avec une maîtrise admirable, de très grands sujets, dans des œuvres placées non seulement dans les pavements sur lesquels on marche, mais encore incrustées dans les façades des bâtisses et des palais avec un art si beau et si merveilleux que ce serait une perte incalculable de voir le temps altérer les compositions des maîtres qui ont excellé dans cet art. On peut en voir dans le dôme de Sienne, où Duccio de Sienne commença à en faire, travail qui fut continué et développé de nos jours par Domenico Beccafumi. Cet art est si beau, si nouveau et si durable, qu’une décoration en marbres blanc et noir assemblés ne saurait guère être plus belle, ni meilleure. Sa composition comporte trois sortes de marbres qui viennent des montagnes de Carrare. L’un d’eux est très fin et d’un blanc éclatant. L’autre n’est pas blanc, mais tire sur le livide, ce qui fait une teinte intermédiaire. Le troisième est un marbre gris, tirant sur l’argentin, et sert pour les teintes foncées. Si l’on veut faire une figure en se servant de ces marbres, on fait d’abord un carton en clair-obscur, avec les mêmes teintes. Cela fait, en suivant les contours des parties claires, intermédiaires et foncées, on assemble avec soin les morceaux de marbre blanc, et ainsi de suite des autres, en se basant sur le carton fait précédemment. Quand tous les morceaux de marbre ont été assemblés et bien aplanis, l’artiste qui a fait le carton prend un pinceau chargé de noir ; il profile toute l’œuvre, et il fait des hachures sur les parties foncées, de même qu’on fait à la plume les profils, les contours et les hachures d’un dessin sur papier, traité en clair-obscur. Le sculpteur vient ensuite, et creuse avec des outils les traits et les profils que le peintre a faits ; il grave toute l’œuvre en suivant les traits que le pinceau a dessinés en noir. Cela fait, les morceaux de marbre sont murés successivement, puis on remplit toutes les entailles que le ciseau a faites avec une mixture de poix noire bouillie ou de l’asphalte, mélangé avec de la terre noire. Quand la matière est froide et a fait prise, on ravale avec des morceaux de tuf tout ce qui dépasse, on lisse et on aplanit le tout avec du sable, delà brique et de l’eau, jusqu’à ce que l’on obtienne que le marbre et le remplissage soient tout à fait plans. Quand le travail est terminé, l’œuvre se présente de manière à paraître vraiment une peinture sur une surface plane ; elle a en elle une vigueur extrême, et témoigne d’autant d’art que de maîtrise. Aussi est-elle devenue d’un fréquent usage par suite de sa beauté, et a-t-elle été cause que quantité de pavements d’appartements se font aujourd’hui en briques qui sont de deux espèces, l’une blanche, c’est à dire celle qui tire sur l’azur, quand elle est fraîche ; l’autre est la brique ordinaire qui devient rouge quand