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de quelle manière il faut les traiter ; ils arrivent imbus de tous nos préjugés de races, de classes, de dogmes. Pour les achever, ils trouvent là-bas de bons camarades — les vieux durs-à-cuire — qui prennent chaque soir cinq ou six absinthes et qui se chargent de les renseigner sur l’état d’esprit qu’il faut témoigner aux indigènes. Cela ne traine pas. Quand les jeunes Coloniaux sont bien éduqués, on leur dit : « vous avez quelques notions sur le pays, vous savez dire bonjour, bonsoir, demander du pain, vous avez vu des nègres, vous savez les commander, vous êtes mûr pour aller gouverner tel poste. Partez. »

À mesure qu’ils s’enfoncent dans la brousse pour aller rejoindre ce poste, petit à petit, ils voient s’échelonner et décroitre les groupements européens ; à St-Louis, à Dakar, à Kayes, il y a des Européens, mais plus loin, à Kati, à Bamako, il y en a dix, 15 peut-être… (Une voix : cinquante !…) Cinquante si vous voulez…

Ensuite, quand ils vont encore plus loin, il arrive un moment où ils se trouvent en tête-à-tête avec un dernier européen qui leur dit : « je commande ici, vous c’est à ou 300 kilomètres à l’Est ; voici des porteurs, voici des caisses, voici huit jours de vivres, partez prendre le commandement de votre poste. » Ils partent, quand ils arrivent dans leur poste, tout le monde se prosterne, tout le monde les admire ; ils sont rapidement grisés par l’autorité.

Ils sont chefs militaires, chefs civils, chefs judiciaires, chefs financiers, chefs de toutes sortes de choses. Ils sont tout ; ce sont des dictateurs, des autocrates, beaucoup plus autocrates que le Tsar même puisque leur peuple ne se révolte pas (Approbation).

À partir de ce jour là, la déchéance est fatale, il ne peut pas en être autrement parce que ces jeunes hommes font dans leur poste tout ce qui leur plaît ; que nul ne le sait, que nul ne peut le savoir, qu’il n’y a aucun contrôle colonial. Je n’ai jamais vu en trois ans de présence en Afrique Occidentale l’ombre d’un inspecteur des colonies de si minime classe qu’il fût (Une voix : c’est vrai !). Par conséquent, les administrateurs peuvent faire impunément tout ce qui leur passe par la tête.