Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/171

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pas l’honneur de vous connaître, que me voulez-vous ? - Je sais, madame, qu’il n’est rien qu’une mère ne fasse pour la mémoire d’une fille chérie… Hélas ! que ce monde est plein de tristesse !... Je suis courtier, madame, près la compagnie des sépultures (ou courtier particulier de M. de La Fosse, fabricant de sarcophages), et je venais voir, madame, si par hasard vous n’auriez pas besoin d’un tombeau ; nous en avons de neufs et d’occasion, et dans le dernier genre…. » A ces mots notre homme essuie une bordée terrible ; mais il est à l’épreuve du feu. - « Comment, monsieur, vous n’avez donc ni cœur ni âme pour venir troubler ainsi une pauvre femme dans sa solitude et son désespoir. C’est une abomination ! c’est une honte, le métier que vous faites !... » Et là-dessus on le jette à la porte, mais il revient le lendemain ; car rien ne saura l’arrêter jusqu’à ce qu’il vous ait extorqué quelques ordres. - Il n’y aurait qu’un moyen de se défaire d’un pareil misérable, ce serait de le tuer ; mais la loi jusqu’à ce jour n’y autorise que faiblement.

C’est au faubourg du Roule, chez un illustre ébéniste, nommé on ne peut plus heureusement M. Homo, que se fabriquent les cercueils de chêne et de palissandre, les cercueils marquetés, guillochés, damasquinés, à compartiments, à secrets ou à musique ; mais la grande manufacture des bières à l’usage de la canaille, c’est-à-dire des bières de bois blanc est établie au village de la Gare. L’ouvrier qui en a l’entreprise est tenu dans l’obligation d’en avoir toujours au moins six mille de faites, et dans chaque mairie, une bonne collection. Ce tailleur suprême, qui enfonce Zang, Staub et Dussautoy, fait à ce métier sa fortune, tout comme MM. les vaudevillistes des Pompes de leur côté font la leur. C’est une chose bien curieuse que l’énorme quantité de vivants qui vivent à Paris de la mort ! Sans la population souterraine un tiers de la garde nationale serait sans ouvrage et sans pain ! - Au carrosse de luxe, il faut un attelage de luxe. Il faut des fleurs à la beauté, il faut des perles au poignard. Aussi n’est-ce point notre héros, ce mince et chétif personnage qui jouit de la douce faveur d’ensevelir les heureux du jour et de les mettre dans leurs cercueils Boule ou Charles Ier. Non, mon cher marquis, il y a un gros garçon tout exprès pour cela : fleuri, potelé, presqu’un amour. Ce beau mignon, vous l’avez vu sans doute, il est très-reconnaissable ; il porte toujours sur l’épaule un sac énorme en guise de carquois ; car il faut vous dire que pour épargner aux cadavres superfins toute émotion et tout cachot désagréable, bien que leurs cercueils soient matelassés et garnis d’oreillers comme un boudoir, on les enterre à bouche que veux-tu ? dans le son.

Tout le monde connaît la triste et philosophique et populaire composition de Vigneron, cet honnête et modeste peintre ; je veux dire le convoi du pauvre. Dans le char de l’indigence un homme obscur gagne silencieusement son dernier asile. Sans cortège et sans apparat il passe comme il a vécu. Trahi par la fortune, abandonné des siens, un seul ami lui reste et le suit ; et cet ami, c’est son chien ! un pauvre barbet, portant la tête basse et enfouie sous les soies longues et crottées de sa toison inculte. - Ce tableau simple et déchirant, Vigneron l’a fait !... A Biard il en reste un autre moins sombre et que son pinceau railleur reproduirait merveilleusement ! - Celui-là, je l’ai vu, de mes propres yeux vu ! - C’était un homme, ô sublime