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ordinaire, deviennent bien vite insuffisants ; il faut alors avoir recours à des hommes et à des bêtes de louage, et c’est alors que le croque-mort et le cocher de raccroc apparaissent sur l’horizon.

Le croque-mort de raccroc se fait avec tous les portiers d’alentour et les décrotteurs qui se trouvent sous la main. Mais quelquefois la pénurie est si grande (Dieu vous garde en cette occurrence de passer dans le faubourg !), qu’on vous arrête au passage. « Voulez-vous gagner trente sous ? » vous dit-on, et sans en attendre davantage on vous entraîne, et bon gré mal gré, l’on vous force, comme on force dans un incendie à faire la chaîne, à endosser le frac funéraire. Chaque cortége alors forme une délicieuse mascarade ! C’est à pouffer de rire ! c’est à éclater dans sa peau ! On prend dans les magasins les premiers haillons venus. Un pantalon qui lui entrera jusqu’aux épaules et une houppelande gigantesque tomberont en partage à un petit homme raccorni, tandis qu’un portefaix herculéen aura un habit que vous prendriez pour sa cravate. - On raconte que M. Bulwer, fut ainsi raccroché un jour (s’imaginant obéir à la loi du pays, l’honorable touriste se laissa faire), et que miss Trollope l’ayant par hasard aperçu derrière un corbillard, dans un accoutrement des plus grotesques, le trouva si bouffon, si comical, si whimsical, qu’elle se pâma d’aise, l’aimable aventurière, et tomba de sa Hauteur à la renverse. - Avec chaque attelage supplémentaire, le loueur de chevaux fournit aussi un homme d’écurie ; celui-ci on l’affuble en cocher, et je vous prie de croire que ce n’est pas le moins récréatif ! Vous imaginez-vous l’allure dégagée de ces bas-normands fourrés dans de hautes bottes à manchettes, dans d’énormes casaques à la française, et vous figurez-vous leur gros museau de polichinel coiffé d’un chapeau aquilin, à l’angle duquel pendent tristement en manière de crêpe les derniers vestiges d’une loque.

Les cochers de corbillard titulaires sont en général d’une essence plus éthérée que les croque-morts, quoique pour la boisson ils soient leurs pairs et qu’ils aient comme eux leur double odeur ; non pas cette fois, le cadavre et l’alcool, mais le vin et la litière. - L’histoire de ces bonnes gens, c’est l’histoire de bien d’autres, c’est l’histoire du cheval de fiacre. - Ce sont d’anciens serviteurs de grandes maisons, de maisons royales même, qui après avoir été ravagés par l’âge et le malheur, après avoir perdu cheveux et chevance, de condition en condition arrivent enfin à cette dernière. Leur Westminster à eux, c’est Bicêtre ! c’est Bicêtre le gracieux Panthéon où, quand ils sont tout à fait hors d’usage, la patrie reconnaissante les envoie se coucher ! Mais ce