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C’est lui, m’nsieur le commissaire, qui a k’mmencé par
m’appeler gniaffe.
(Préville et Taconnet, ancien vaudeville.)


Le gniaffe arrivé, le gniaffe maître, le gniaffe possédant un établissement est trop généralement répandu, et trop à la portée de tout le monde, pour que nous nous y appesantissions beaucoup. Ce n’est pas de cet enfant du siècle, bon lecteur, que nous avons à t’entretenir ; tu le connais de reste ce débitant vulgaire qui parle à la troisième personne, qui dit : « Monsieur veut-il ses bottes plus carrées ? Que souhaite madame ? Offrirai-je un siége à monsieur ?... » Nature servile et bâtarde, polie par son frottement aux honnêtes gens qu’elle chausse ; épine dorsale flexible et docile ; bouche assouplie, faite au mensonge et professant le mot flatteur !... Non, non, ce n’est pas là l’objet de notre choix ; ce n’est pas là notre héros, ce n’est pas là notre Ulysse… Notre Priam à nous, c’est le gniaffe au cœur noble, à l’âme élevée et ombrageuse, qui, en dépit de toutes les sirènes de la corruption, s’est maintenu dans l’indépendance la plus absolue et la plus primitive !

Celui-ci que désormais nous appellerons, pour le distinguer du gniaffe de commune espèce, gniaffe pur-sang ou angora, a la fierté de l’homme qui a la conscience d’une vie sans peur et d’une intelligence consommée.

Celui-ci, c’est l’homme qui se dit : Je n’ai pas de reproche à me faire.

Sa contenance est froide, sa parole laconique ; sa voix rauque pratiquée dans les cordes les plus basses.

Celui-ci s’en va grave et l’oeil baissé ; et ce maintien modeste, lorsqu’il se rend à la boutique du maître (car, il faut bien le dire, cette grande âme travaille à façon) lui permet de supposer que les jambes qui marchent autour de lui ont des têtes dont le regard est fixé sur la belle ouvrage qu’il rapporte. Aussi dans