Page:Les fables d’Esope Phrygien, avec celles de Philelphe, 1784.djvu/275

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faire croire que les bêtes raiſonnoient, depuis que l’on crut que les ames des hommes paſſoient dans leurs corps. Eſope étoit en cela du ſentiment de Pythagore ; mais n’en déplaiſe à ces deux grands hommes, il y a long-tems qu’on eſt revenu de ces rêveries & l’on ne croit pas en ces ſiecles-ci que les bêtes raiſonnent ou tirent des conſéquences, ni qu’elles diſtinguent le vrai d’avec le faux. On les a terriblement dégradé depuis que quelques Philoſophes modernes ont publié que les bêtes ne vivent pas, qu’elles ne voyent, & qu’elles n’entendent rien ; qu’elles ne ſentent point de douleur quand on les bat, ou quand on les écorche ; que ce ſont des automates & des machines un peu plus parfaites que les montres, parce qu’elles ſont d’un plus excellent ouvrier. Cette opinion diminue beaucoup le prix de ce que fit la Corneille, en jettant des cailloux dans la Cruche, pour faire rémonter l’eau juſqu’au bord, afin qu’elle pût boire avec plus de facilité.

N’en déſeſpere point ; la choſe eſt difficile,
Mais quoique l’obſtacle ſoit grand,
Avec un peu d’adreſſe, il n’eſt ſi mal habile
Qui ne ſe tire bien de ce qu’il entreprend.


FABLE CIV.

Du Laboureur & du Taureau.

Un Laboureur avoit dans ſon étable un Taureau indocile, qui ne pouvoit ſouffrir le joug, ni être lié ; mais pour l’empêcher de frapper de ſes cornes,