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prétexte d’être dans nos interêts. Il faut tâcher de pénétrer dans leur intention, pour découvrir les motifs ſecrets qui les engagent à parler comme ils font. Ce que le Lion diſoit à la Chevre paroiſſoit aſſez obligeant, en lui montrant un bon pâturage où elle auroit trouvé toutes ſortes d’herbes en abondance ; mais les ongles, les dents, le poil hériſſé, la mine menaçante du Lion, tout cela fit peur à la Chevre. Cet exemple nous apprend à nous défier des ennemis cruels, qui empruntent le langage des véritables amis, pour faire donner dans le piege qu’ils ont dreſſé. Quand on commence à s’en défier, on ſe tient plus aiſément ſur ſes gardes & l’on prend tant de précautions pour s’en garantir, que toutes leurs fineſſes & leurs mauvais conſeils deviennent inutiles.

Ce conſeile paroit bon, mais enfin examine,
Quel motif te l’a fait donner.
S’il vient d’un ennemi, tu dois le ſupçonner ;
Il tend ſans doute à ta ruine.


FABLE CIII.

De la Corneille & de la Cruche.

La Corneille ayant ſoif, trouva par hazard une Cruche où il y avoit un peu d’eau ; mais comme la Cruche étoit trop profonde, elle n’y pouvoit atteindre, pour ſe déſaltérer. Elle eſſaya d’abord de rompre la Cruche avec ſon bec ; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’aviſa d’y jet-