Page:Les fables d’Esope Phrygien, avec celles de Philelphe, 1784.djvu/111

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mal qu’ils peuvent. Le Lion pendant ſa jeuneſſe avoit dévoré une grande quantité d’animaux ; mais étant uſé de vieilleſſe, il ne pouvoit plus ſe traîner pour aller à la chaſſe. C’eſt ainſi que ceux qui ont tyranniſé les Peuples, ſont expoſés aux inſultes quand leurs forces les abandonnent, ou que leur autorité eſt tombée. Il faut bien changer de langage lorſqu’ils ſe voyent à la merci de leurs ennemis, qui prennent leur temps pour ſe venger de tous les oûtrages qu’ils en ont reçu. Auſſi voyons-nous dans cette Fable qu’Eſope nous propoſe, que tous les animaux que le Lion avoit inſulté pendant ſa vie, l’inſultent à leur tour, lui font de ſanglans reproches, & l’accablent de coups, dans un temps où il ne pouvoit reſiſter à leurs attaques, ni ſe venger des affronts qu’ils lui faiſoient. L’un lui redemande ſon père qu’il a égorgé ; l’autre ſa mère, où ſes enfans. Ce qui afflige le Lion dans le malheureux état où il ſe trouve, c’eſt que ſes amis qui le voyent ſi miſérable, ne viennent point à ſon ſecours. Il s’éloignent de lui & le fuïent, ſans ſe ſoucier des plaintes qu’il fait dans ſon infortune. Les hommes ſont en cela ſemblables aux animaux de la Fable. Ils abandonnent dans leurs diſgraces ceux qui leur ont rendu des ſervices eſſentiels pendant qu’ils étoient en faveur. Non ſeulement nos amis nous tournent le dos quand nous leur devenons inutils ; c’eſt beaucoup, s’ils ne ſe déclarent pas contre nous, & s’ils ne ſe jettent pas dans le parti de nos ennemis.

Dans quel triſte état tu t’es mis !
Contre chacun dans ta jeuneſſe
Hautain, imperieux, tu t’es crû tout permis ;
On t’attaque dans ta vieilleſſe :
Pour te défendre où trouver des amis ?