Page:Les fables d’Esope Phrygien, avec celles de Philelphe, 1784.djvu/106

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les paroles qui ont été données aux méchans, ni les conventions que l’on a ſtipulées avec eux. Voilà pourquoi l’Aigle ne fit nulle difficulté de trahir le Renard, & de lui ravir ſes petits, pour les faire dévorer par ſes Aiglons. S’il faut manquer de parole à l’homme de bien, ou au ſcélérat, quoique l’on ſoit obligé d’avoir de la bonne foi à l’égard de tout le monde, il ſemble toutefois que l’homme de bien ſe ſoucie moins de la perfidie de ceux qui le trompent, parce qu’il trouve des reſſources dans ſa propre vertu, & qu’il ſe conſole plus aiſément des mauvais tours que les hommes lui jouent. L’homme de bien pour l’ordinaire eſt plus commode & plus traitable que le méchant, il prend en meilleure part les raiſons qu’on lui apporte pour ſe juſtifier. Que ſi l’injure qu’on lui a faite ne peut s’excuſer en aucune ſorte, il modéréra ſa colere, & ne s’abandonnera point à ſon emportement. Au contraire, les gens féroces ſupportent plus impatiemment les petits affronts qu’on leur fait, & cherchent toutes ſortes de moyens pour ſatisfaire leur vengeance. Les grands courages aiment mieux tout ſacrifier que de manquer à leur parole, & croyent que tromper c’eſt une lâcheté impardonnable. L’Hiſtoire Romaine en fournit un bel exemple dans la conduite du ſage Attilius, qui aima mieux s’expoſer à une mort certaine, que de manquer à la promeſſe qu’il avoit faite à ſes ennemis, quoique les Prêtres & les Magiſtrats de Rome l’en diſpenſaſſent avec raiſon. Ainſi on ne peut excuſer l’Aigle d’avoir tromper un animal infidele : elle devoit plûtôt ſe reſoudre à mourir de faim avec ſes Aiglons, que de commettre une lâcheté ſi noire envers ſon hôte et ſon ami, avec qui elle avoit contracté une ſociété ſi étroite. Elle fut bientôt punie de ſa perfidie ; le feu s’étant