Page:Les fables d’Esope Phrygien, avec celles de Philelphe, 1784.djvu/103

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apprendre aux perſonnes généreuſes à ſe précautionner contre les artifices & les ſupercheries des fourbes, repreſentés par la Corneille qui trompa l’Aigle & qui tira tout le fruit du conſeil qu’elle lui avoit donné. Ces donneurs de faux avis ſont en grand nombre dans le monde. Leur intention n’eſt pas de vous inſtruire, ni de vous mettre dans le bon chemin, quand ils vous conſeillent ; ils ne ſongent qu’à leurs propres interêts, & ſont attentifs pour voir l’événement des conſeils qu’ils vous ont donnés, & pour en profiter. L’amitié, l’empreſſement qu’ils vous témoignent, les careſſes qu’ils vous font ; tout cela vous doit être fort ſuſpect. Si vous remontiez jusqu’à la ſource, & que vous puiſſiez développer les replis de leur cœur, vous découvririez aiſément que leurs paroles ne s’accordent guere avec leurs intentions, & que leurs ſentimens ne ſont pas tels qu’ils vous paroiſſent. Les premières réflexions d’un homme intéreſſé qui donne conſeil, n’ont que lui même pour objet. Sans ſe ſoucier ſi l’affaire que vous lui propoſez, réuſſira à votre avantage ou non, il ſonge prémierement quelle utilité il en pourra retirer. Voilà ce qui ruine & ce qui détruit tous les fondemens de l’amitié ; les perſonnes intéreſſées n’en ſont nullement capables, toutes leurs intentions ſont mercenaires, comme Eſope le fait aſſez voir dans le conſeil que la Corneille donna à l’Aigle. Il ſemble d’abord qu’elle ne ſongeoit qu’au profit de celui qui lui demandoit conſeil ; mais elle ne ſongoit en effet qu’à le tromper. Les perſonnes généreuſes ſont plus aiſément abuſées, parce qu’elles ſe défient moins des artifices de ceux qui abuſent de leur crédulité, & qu’elles ne ſongent point à ſe garantir des pièges qu’on leur tend. Auſſi voyons