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LA MESSE DE PRIMAUT.

Renart : je veux boire plus que toi. — Oh ! vous n’y arriverez pas. — Moi ? — Songez que j’ai dix coups en avance. — Ah ! Renart, tu ne dis pas la vérité. Tiens, have ! Drink ! Toi mieux boire que moi ! je viderois plutôt les deux coupes à la fois, la tienne et la mienne. »

Renart faisoit semblant de boire, mais laissoit couler le vin dans ses barbes. L’autre n’y voyoit plus rien ; il buvoit, buvoit toujours, les yeux hors du front, rouges comme deux charbons embrasés. Il n’est pas de rêverie qui ne lui passe par la tête : tantôt il se croit le roi Noble entouré de sa cour, au milieu de son palais ; tantôt il pleure ses vieux méfais et se déclare le plus grand pêcheur du monde.

« Renart », dit-il, « j’ai une idée ; Dieu en nous conduisant ici doit avoir eu ses desseins sur nous. Si nous allions à l’autel chanter la messe ? Le missel est ouvert, les robes du prêtre sont à côté. J’ai appris à chanter quand j’étois jeune, et tu vas voir si je l’ai oublié.

« Mais, » dit Renart, « il faut, avant tout, se garder de sacrilège. Pour chanter à l’autel on doit être prêtre, ou pour le moins clerc couronné. Tu ne l’es pas, Primaut. — En vérité, tu as raison, Renart. Mais on y pourvoira, on y pour-pour-voi-ra. Ne pourras-tu me faire la couronne qui me manque ?