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RENART ET LES HARENGERS.

remet en mouvement. Pendant qu’ils se félicitent de l’aventure et qu’ils se promettent de découdre, en arrivant, la robe de Renart, celui-ci ne s’en inquiète guères ; il sait qu’entre faire et dire il y a souvent un long trajet. Sans perdre de temps, il étend la patte sur le bord d’un panier, se dresse doucement, dérange la couverture, et tire à lui deux douzaines des plus beaux harengs. Ce fut pour aviser avant tout à la grosse faim qui le travailloit. D’ailleurs il ne se pressa pas, peut-être même eut-il le loisir de regreter l’absence de sel ; mais il n’avoit pas intention de se contenter de si peu. Dans le panier voisin frétilloient les anguilles : il en attira vers lui cinq à six des plus belles ; la difficulté etoit de les emporter, car il n’avoit plus faim. Que fait-il ? Il apperçoit dans la charrette une botte de ces ardillons d’osier qui servent à embrocher les poissons : il en prend deux ou trois, les passe dans la tête des anguilles, puis se roule de façon à former de ces ardillons une triple ceinture, dont il rapproche les extrémités en tresse. Il s’agissoit maintenant de quitter la voiture ; ce fut un jeu pour lui : seulement il attendit que l’ornière vînt trancher sur le vert gazon, pour se couler sans bruit et sans risque de laisser après lui les anguilles.

Et cela fait, il auroit eu regret d’épargner