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RENART ET TIECELIN.

campé, le fromage dressé dans les pattes. « Oui, je ne me trompe pas ; oui, c’est damp Tiecelin. Que le bon Dieu vous protège compère, vous et l’ame de votre père, le fameux chanteur ! Personne autrefois, dit-on, ne chantoit mieux que lui en France. Vous-même, si je m’en souviens, vous faisiez aussi de la musique : ai-je rêvé que vous avez longtemps appris à jouer de l’orgue ? Par ma foi, puisque j’ai le plaisir de vous rencontrer, vous consentirez bien, n’est-ce pas, à me dire une petite ritournelle. »

Ces paroles furent pour Tiecelin d’une grande douceur, car il avoit la prétention d’être le plus agréable musicien du monde. Il ouvre donc aussitôt la bouche et fait entendre un crah prolongé. « Est-ce bien, cela, damp Renart ? — Oui, » dit l’autre, « cela n’est pas mal : mais si vous vouliez, vous monteriez encore plus haut. — Écoutez-moi donc. » Il fait alors un plus grand effort de gosier. « Votre voix est belle », dit Renart, « mais elle seroit plus belle encore si vous ne mangiez pas tant de noix. Continuez pourtant, je vous prie. » L’autre, qui veut absolument emporter le prix du chant, s’oublie tellement que, pour mieux filer le son, il ouvre peu à peu les ongles et les doigts qui retenoient le fromage et le laisse tomber justement aux