Page:Les aventures de maître Renart et d'Ysengrin son compère, trad. Paulin, 1861.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
TROISIÈME AVENTURE.

tille. Le vilain jouit de son supplice : « Ah ! Renart, ton jugement est rendu, te voilà condamné sans rémission. » Et pour commencer la justice, Berton lève le pied qu’il vient poser sur la gorge du prisonnier. Renart prend son temps ; il saisit le talon, serre les dents, et les cris aigus de Berton lui servent de première vengeance. La douleur de la morsure fut même assez grande pour faire tomber le vilain sans connoissance ; mais revenu bientôt à lui, il fait de grands efforts pour se dégager ; il lève les poings, frappe sur le dos, les oreilles et le cou de Renart qui se défend comme il peut, sans pour cela desserrer les dents. Il fait plus : d’un mouvement habile, il arrête au passage la main droite de Berton, qu’il réunit au talon déjà conquis. Pauvre Berton, que venois-tu faire contre Renart ! Pourquoi ne pas lui avoir laissé coq, chapons et gelines ! N’étoit-ce pas assez de l’avoir pris au filet ? Tant gratte la chèvre, que mal gist, c’est un sage proverbe dont tu aurois bien dû te souvenir plus tôt.

Ainsi devenu maître du talon et du pied, Renart change de gamme, et prenant les airs vainqueurs : « Par la foi que j’ai donnée à ma mie, tu es un vilain-mort. Ne compte pas te racheter ; je n’en prendrois pas le trésor de l’empereur ; tu es là mieux enfermé que Charlemagne ne l’étoit dans Lançon. »