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TROISIÈME AVENTURE.

Il entre dans le bois, laissant à gauche la route frayée ; car les chemins n’ont pas été faits pour son usage. Après mille et mille détours, il descend enfin dans la prairie. « Ah ! sainte Marie  ! » dit-il alors, « où trouver jamais lieux plus agréables ! C’est le Paradis terrestre ou peu s’en faut : des eaux, des fleurs, des bois, des monts et des prairies. Heureux qui pourroit vivre ici de sa pleine vie, avec une chasse toujours abondante et facile ! Mais les champs les plus verts, les fleurs les plus odorantes n’empêchent pas ce proverbe d’être vrai : le besoin fait vielles trotter. »

Renart, en poussant un long gémissement, se remit à la voie. La faim, qui chasse le loup hors du bois, lui donnoit des jambes. Il descend, il monte, il épie de tous côtés si d’aventure quelque oiseau, quelque lapin ne vient pas à sa portée. Un sentier conduisoit à la ferme voisine ; Renart le suit, résolu de visiter les lieux à ses risques et périls. Le voilà devant la clôture : mais tout en suivant les détours de haies et de sureaux, il dit une oraison pour que Dieu le garde de malencontre, et lui envoie de quoi rendre la joie à sa femme et à toute sa famille.

Avant d’aller plus loin, il est bon de vous dire que la ferme étoit au vilain le plus aisé qu’on pût trouver d’ici jusqu’à Troies (j’en-