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NOUVELLE ÉTUDE

Puis, dans la branche du Jugement, quand Renart, condamné à faire le voyage de Terre sainte, rejette croix, écharpe et bourdon, il adresse au Roi ces insolentes railleries :


Que Dieu confonde le musel
Qui m’encombra de ceste frepe
Et du bourdon et de l’escherpe !
En haut parole et dist au Roi :
Sire, dit-il, entens à moi :
Salus te mande Noradins
Par moi que je suis pelerins.
Si te criement li paien tuit,
À poi que chascuns ne s’en fuit.

V. 11260.

Il faut conclure de ces deux curieux passages que l’ouvrage fut composé dans le temps où le nom de Noureddin, fils et successeur de Zengui sultan d’Alep et prédécesseur du fameux Saladin, frappoit d’épouvante les chrétiens de Syrie, auxquels il venoit d’enlever la ville d’Édesse. La nouvelle de ses victoires décidoit le roi de France, Louis VII, à préférer les exhortations de saint Bernard promettant la reprise des lieux saints, à celle de Suger prévoyant les revers de l’expédition. Or, Noureddin regna de 1145 à 1161 ; et ce n’est pas après le retour du roi qu’un trouvère françois se fût contenté d’une telle allusion au malheur de ceux qui s’étoient fait prendre devant Alep ; il auroit parlé du siège de Damas, de la surprise et de la destruction de l’armée françoise dans l’Asie Mineure. Mais au contraire, il étoit tout naturel que, dans le temps où l’on prêchoit la Croisade contre le sultan d’Alep, l’auteur de Renart comparât les craintes d’Ysengrin