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SUR LE ROMAN DE RENART.

ciens apologues en mauvaise prose ou en vers plus méchans encore. On ajoutoit aux premiers récits des incidens particuliers, des réflexions, des moralités nouvelles : et quand le sujet s’y prêtoit, on le retournoit de cent façons, quelquefois au point de le rendre méconnoissable.

La ruse et la violence se sont toujours, ou presque toujours, disputé le monde. L’application des fables dans lesquelles le loup et le renard jouoient un rôle étoit donc assez facile autrefois et ne seroit pas encore impossible aujourd’hui. Un prince, un soldat, un prêtre faisoit tomber son ennemi dans une embuscade ; c’étoit le Renard laissant dans le puits son compagnon. Il proposoit un traité d’alliance afin de mieux tromper ; c’étoit le baiser de paix offert à la mésange ou au vieux coq. Il cherchoit une mauvaise querelle afin de prendre ce qui ne lui appartenoit pas ; c’étoit le loup reprochant à l’agneau de troubler son breuvage. Il persuadoit aux foibles d’éloigner leurs naturels défenseurs ; c’étoit le troupeau de brebis chassant les chiens qui veilloient à sa garde. De ces rapprochemens, dont l’occasion étoit fréquente, à la pensée de donner à ceux qui les avoient provoqués les noms de loup, de goupil ou de chat, et de mettre sur le compte de ces emblèmes convenus de la violence et de la fraude ce qui appartenoit aux hommes auxquels on les avoit d’abord comparés, il n’y avoit qu’un pas à faire, et l’on peut croire qu’on ne tarda guère à le franchir.

Mais ces jeux d’esprit, ces représailles satiriques entrèrent assez rarement dans la grande légende