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PREMIÈRE AVENTURE.

sins (n’importe lequel, ils se valent tous) les apercevoit, il en voudroit sa part ? À votre place, je ne perdrois pas un moment pour les détacher, et je dirois bien haut qu’on me les a volés. — Bah ! » fit Ysengrin, « je n’en suis pas inquiet ; et tel peut les voir qui n’en saura jamais le goût. — Comment ! si l’on vous en demandoit ? — Il n’y a demande qui tienne ; je n’en donnerois pas à mon neveu, à mon frère, à qui que ce soit au monde. »

Renart n’insista pas ; il mangea ses rognons et prit congé. Mais, le surlendemain, il revint à la nuit fermée devant la maison d’Ysengrin. Tout le monde y dormoit. Il monte sur le faîte, creuse et ménage une ouverture, passe, arrive aux bacons, les emporte, revient chez lui, les coupe en morceaux et les cache dans la paille de son lit.

Cependant le jour arrive ; Ysengrin ouvre les yeux : Qu’est cela ? le toit ouvert, les bacons, ses chers bacons enlevés ! « Au secours ! au voleur ! Hersent ! Hersent ! nous sommes perdus ! » Hersent, réveillée en sursaut, se lève échevelée : « Qu’y a-t-il ? Oh ! quelle aventure ! Nous, dépouillés par les voleurs ! À qui nous plaindre ! » Ils crient à qui mieux mieux, mais ils ne savent qui accuser ; ils se perdent en vains efforts pour deviner l’auteur d’un pareil attentat.