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PROLOGUE.

qui, s’élançant sur la brebis, l’emporta vers la forêt voisine. Aux cris douloureux d’Ève, Adam reprit la baguette : il frappe ; un chien s’élance à la poursuite du loup, puis revient ramenant la brebis déjà sanglante.

Grande alors fut la joie de nos premiers parens. Chien et brebis, dit le Livre, ne peuvent vivre sans la compagnie de l’homme. Et toutes les fois qu’Adam et Ève firent usage de la baguette, de nouveaux animaux sortirent de la mer : mais avec cette différence qu’Adam faisoit naître les bêtes apprivoisées, Ève les animaux sauvages qui tous, comme le loup, prenoient le chemin des bois.

Au nombre des derniers se trouva le goupil, au poil roux, au naturel malfaisant, à l’intelligence assez subtile pour decevoir toutes les bêtes du monde. Le goupil ressembloit singulièrement à ce maître-passé dans tous les genres de fourberies, qu’on appeloit Renart, et qui donne encore aujourd’hui son nom à tous ceux qui font leur étude de tromper et mentir. Renart est aux hommes ce que le goupil est aux bêtes : ils sont de la même nature ; mêmes inclinations, mêmes habitudes ; ils peuvent donc prendre le nom l’un de l’autre.

Or Renart avoit pour oncle sire Ysengrin, homme de sang et de violence, patron de tous ceux qui vivent de meurtre et de rapine. Voilà