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VINGT-NEUVIÈME AVENTURE.

inutiles. Alors un des frères s’avise de regarder au fond du puits ; ô surprise ! il apperçoit les pieds, il reconnoit la tête d’Ysengrin. Il appelle les autres : « Oui ! c’est le loup. » Ils retournent à la maison, jettent l’allarme au dortoir, au Refectoire. L’Abbé saisit une massue, le Prieur un candelabre ; il n’y pas un moine qui n’ait pieu, broche ou bâton. En cet attirail ils reviennent au puits, se mettent tous à la corde, si bien qu’enfin, grace aux efforts de l’âne et des moines, le seau monte et touche à l’extrémité supérieure du puits. Ysengrin n’avoit pas attendu si longtems ; d’un bond il avoit sauté par-dessus la tête des premiers frères ; mais les autres lui ferment le passage : il reçoit une grèle de coups, la massue de l’Abbé tombe d’aplomb sur son pauvre dos, si bien que faisant le sacrifice de sa vie, Ysengrin ne se défend plus et demeure à terre sans mouvement. Déjà le Prieur mettoit la main au couteau : il alloit commencer à découdre sa pelisse noire, quand l’Abbé, vénérable personne, le retient : « Que pourrions-nous faire de cette peau ? » dit-il, « elle est toute déchiquetée, toute couverte de trous. Allons-nous-en et laissons cette charogne. »

Ysengrin ne se plaignit pas du mépris qu’on faisoit de sa fourrure, et quand les frères, dociles à la voix du digne abbé, se furent éloignés, il