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VINGT-HUITIÈME AVENTURE.

votre plaisir ; d’ailleurs j’avoue que je mangerai volontiers. De quoi s’agit-il ? d’un taureau, d’une vache et d’un veau…. » Il parut hésiter un instant, comme cherchant moyen de tout arranger au mieux ; car il se rappeloit ce que dit le vilain :

Qui le bien voit et le mal prent,
Souvent à bon droit se repent.

En tout cas, il se seroit fait étrangler plutôt que de rien proposer à l’avantage de Renart.

« Monseigneur, » reprit-il enfin, « mon avis est que vous reteniez pour vous le taureau et la belle génisse. Je me contenterai du veau, et quant au roux que vous avez admis dans votre compagnie, je sais qu’il aime peu ces sortes de viandes ; nous l’inviterons à chercher pâture ailleurs. »

Oh ! que grande chose est Seigneurie ! Il faut au seigneur donner tout à garder, tout faire à sa guise et surtout ne jamais lui parler de partage. En tous pays la coutume est la même ; le connétable Ysengrin pouvoit-il oublier une telle vérité ! Or ce qui devoit arriver arriva : Noble ne l’avoit pas écouté sans branler la tête et sans témoigner une indignation vive. À peine le partageur a-t-il fini, que lui se dresse, fait deux pas, lève sa terrible patte et l’étend sur la joue d’Ysengrin d’une telle force qu’il