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DIX-SEPTIÈME AVENTURE.

ailleurs. — J’y consens, puisque vous le voulez. »

Renart prend l’andouille par le milieu, de façon à laisser pendre les deux bouts. Tybert le suivoit, inquiet de ce qu’il avoit en pensée. Ah ! s’il tenoit lui-même la bienheureuse pièce, il seroit plus assuré d’en avoir au moins sa part. « Eh, mon Dieu ! » dit-il, « compain, comment tenez-vous donc cette andouille ! vous en laissez traîner les bouts dans la poussière et vous mouillez le milieu de votre salive ; c’est à soulever le cœur. Si vous continuez, je vous en cède ma part. Oh ! que je la porterois autrement ! — Comment la porteriez-vous ? — Vous allez voir : aussi bien dois-je avoir tout le mal, puisque vous l’aviez vue le premier. » Renart, tout bien considéré, le laissa faire. Car, pensoit-il, la charge l’embarrassera et j’aurai plus aisement raison de lui.

Tybert prend l’andouille, serre un des bouts entre ses dents, la balance et la rejette sur son dos. « Voyez-vous, compain, » dit-il, « cela s’appelle porter une andouille ; elle ne prend pas de poussière et ma bouche ne touche que ce qu’on ne mange pas. Suivons le chemin ; il conduit à la croix que nous appercevons là sur cette hauteur, bon endroit pour y manger à l’aise ; on voit de