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ne pas être d’avis qu’il faut réparer tout préjudice causé… Mais il est bien permis de prendre quelques précautions pour n’être pas dupe d’une aventurière… Ne brusque rien… Tâchons d’abord de savoir ce qu’elle est, cette Mion, ce qu’a été son passé, comment elle se conduit en ville ; si elle est vraiment repentante de sa faute, ou si elle cherche un épouseur et si c’est à toi qu’elle en a.

– Mais, fit Garric, surpris, comment savoir cela, à cinquante lieues que nous sommes de Montpellier ?

– Essayons quand même… J’ai dans l’idée que l’aîné des fils Terral pourra nous être très utile.

– Le frère de Linou ?

– Lui-même. Avocat là-bas, tu comprends qu’il a des moyens d’information de toute sorte ; je vais lui demander de les mettre à notre service… Je vais lui écrire, – et aussi répondre à Mion… Bien entendu, je ne parlerai de toi ni à l’une ni à l’autre… Rentre aux Anguilles, remets-toi au travail, et tiens-toi sur la plus grande réserve vis-à-vis de tes maîtres. Ne prends aucun engagement, aucune détermination d’aucune sorte avant de m’avoir revu… Ne va pas non plus revoir ta petite amie de La Capelle ; qui sait si la chère enfant n’a pas été mal inspirée, aujourd’hui, en t’avouant qu’elle t’aimait toujours !

– Je vous obéirai, monsieur le curé, aveuglément… Si vous ne me sauvez pas, je sens que je suis perdu !

– Aide-toi, le ciel t’aidera.

Pauvre garçon ! Il redescendit tristement vers les Anguilles, repassant dans son esprit ce qui lui était arrivé en ces trois derniers jours : son père mort, Linou reconquise, et Mion surgissant tout à coup comme une menace, comme, par un soir d’été, une nuée d’orage à l’horizon.


CINQUIÈME PARTIE

I

Ce dimanche des Rameaux, si radieux dans la matinée, s’acheva bien mélancoliquement aussi, au moulin de La Capelle.

Quand la jeune fille rentra des vêpres, Terral était parti pour le chef-lieu, non sans emporter une belle carpe, tuée à l’étang d’un coup de fusil, et qui, d’après lui, devait, en semaine sainte, faire un merveilleux effet sur l’esprit de Roucassier, le député…

Dans la nuit, la meunière, qu’avait bouleversée la scène de dispute de midi, fut reprise de toux, de frissons, de fièvre intense et même de délire. Aline craignit une rechute grave, s’affola, voulut de nouveau envoyer quérir le médecin. Son parrain et Cadet eurent toutes les peines du monde à lui persuader d’attendre au moins le jour. La pauvre petite revécut toutes les affres de la nuit de Noël ; elle veilla près de sa mère, elle pria, s’accusant d’être la cause de ce retour du mal. Elle allait enfin renouveler la formule de son vœu, lorsque la malade se calma, s’assoupit et goûta quelques heures de repos… Ce n’était donc qu’une fausse alerte ; mais Linou y vit clairement un rappel au devoir, un signe certain que Dieu et la Vierge lui savaient mauvais gré de son parjure et de son retour à l’amour d’un homme.

Terral revint de Rodez, enchanté de son voyage et convaincu que Roucassier ferait, le cas échéant, réformer son cadet. Il paraissait ne plus se souvenir de la querelle du dimanche ; et il permit à son fils et à son frère de le plaisanter sur sa visite au député, l’éternelle tête de Turc de tous ceux qui étaient ou se croyaient républicains.

– Eh bien ! criait gouailleusement l’oncle Joseph, en s’interrompant de varloper, de limer ou de rhabiller, tu l’as vu, le vieux singe de la Nogarède ? Il n’est pas devenu beau, n’est-ce pas ?

– Lui ? ajoutait Cadet ; quand il monte dans un de ses pruniers, les moineaux s’enfuient à tire-d’aile hors du domaine.

– Blaguez, blaguez, grommelait Terral à mi-voix. Roucassier est quelqu’un, quoi que vous en disiez ; et puis, il a l’oreille de l’empereur…

– Une seule ?… Alors, ça lui en fait trois, et de belle taille… T’a-t-il payé à boire, au moins ? Ta carpe valait bien un verre de son cognac de prunes, servi par la mâmânn (et il nasillait atrocement, avec l’intention de contrefaire le député, célèbre dans toute la région pour son déplorable accent).

– Elle est toujours solide, la vieille Juive ? Et elle le mène toujours par le bout du nez, n’est-ce pas ?

– Je crois bien ; elle lui fait radouber ses barriques avant la vendange et porter ses œufs au marché, un grand panier noir au bras…

– Je vous dis, protestait Terral, que Roucassier est un homme capable, et qu’il a les bras longs.

– Jusqu’à la cheville, parbleu, comme tous ceux de son espèce, achevait Joseph.

Et le vieil abbé Lacroze, un prêtre retraité, qui ne manquait jamais de venir passer deux heures au moulin quand il savait y rencontrer l’oncle Joseph, s’esclaffait en se tenant le ventre, aux plaisanteries de ces « fous de meuniers », comme il appelait indistinctement les Terral. Et Regimbai le maçon, et Pomarède le menuisier, et Phélip, dit « Fén-dé-Fun » parce qu’il avait toujours la pipe au bec, Phélip l’homme à projets, qui chantait au lutrin, savait compter par épactes, parlait latin, et paraissait partout où l’on travaille sans travailler jamais, tous faisaient chorus avec les raillards et daubaient sur le député de l’empereur.

Seule, dans ce milieu redevenu gai, Aline était triste. Elle pensait au couvent, reprise par la lutte intérieure qui la minait peu à peu…

Elle fit ses Pâques le Jeudi-Saint, en ce jour qui, mieux que tout autre, commémore exactement la Cène de Jésus avec ses apôtres, la veille de sa mort. Elle pria ardemment le divin Crucifié de lui parler bien haut, bien clair, de lui dire si elle devait aller à Lui irrévocablement.

Le lendemain, elle recevait une lettre de sa tante, religieuse au couvent de la Sainte-Famille, à Villefranche, à qui elle avait écrit, quelques semaines plus tôt, pour l’inviter à venir passer les congés scolaires de Pâques au moulin de La Capelle. La sœur de Rose se disait trop souffrante pour se déplacer, et elle pressait, à son tour, Linou de faire le voyage, ayant le plus vif désir de la revoir, et priant la meunière, maintenant guérie, de lui confier pour quelques jours son enfant de prédilection.

Cette lettre parut à Linou une réponse d’en haut à ses pieuses instances : plus de doute, Dieu l’appelait, il fallait partir… Mais comment ? Au grand jour, après avoir déclaré sa résolution à toute sa famille, et à Jean par surcroît ? Certes, ce serait plus courageux, plus loyal. Seulement, que de cris, que de larmes, que de résistances et de supplications !… Ne pouvait-elle s’en aller doucement, sous couleur de visite à sa tante, quitter la maison en y laissant l’espérance d’un retour prochain ? Une fois au couvent, elle y prolongerait son séjour, trouverait des prétextes plausibles, s’essayerait à la vie religieuse, s’affermirait dans ses résolutions. Sa mère comprendrait vite, pleurerait beaucoup, et se résignerait, étant pieuse et ayant regretté parfois, aux heures difficiles, de n’avoir pas abrité elle-même son cœur de sensitive derrière les murailles d’un cloître… Son père ? Son frère ? Son parrain ? Bah ! ils se mettraient en colère d’abord, blasphémeraient peut-être, crieraient qu’il est grand temps qu’un nouveau Quatre-vingt-treize vienne vider et fermer tous les couvents… Mais ils se consoleraient… Tous les jours, on voit des jeunes filles se faire religieuses, et les maisons d’où elles essaiment n’en vont pas plus mal.

Et Jean ? Ah ! Jeantou, le pauvre garçon ! Comme elle va le faire souffrir !… Elle lui a pardonné sa trahison, lui a avoué qu’elle l’aimait toujours, s’est repromise à lui… et maintenant… Mais c’est lâche, ce qu’elle fait là ; et ce qu’elle projette est criminel… Criminel ? Pourquoi ?… Même en restant, il est désormais peu probable qu’elle puisse épouser le farinel du moulin des Anguilles. Les fureurs et les menaces de son père, est-ce qu’elle se sentirait de taille à les braver ? Hélas ! non, la pauvre petite… Alors ? Puisqu’elle ne saurait surmonter les obstacles qui la séparent de son ami, autant ajouter à ces barrières humaines celles du mariage mystique et des grilles d’un couvent…


Le Journal de L’Université des Annales publie in extenso ef illustre de 1,250 gravures toutes les Conférences faites à L’Université des Annales L’Année Scolaire, de 25 N° : Abonn’ 10 FRANCS (15 francs pour l’Étranger). SOMMAIRE da M° 13 (16 fuin 1913 ; af tam Une Promenade à Florence Henry ROUJON

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