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Et il lui rapporta leur conversation ; puis, il ajouta :

– Maintenant, ma petite, je te le répète, il te reste à réfléchir encore. Songe qu’il y va du repos de ta vie, de ton salut. Pense à Jean, qui t’aime toujours. Demande-toi si tu ne l’aimes pas encore plus que tout au monde ; si tu n’as pas cédé au dépit, à la rancune, en renonçant à lui… Ensuite, si tu éprouvais quelque regret de ton vœu, sache qu’à ma demande l’Église t’en relèverait… Pèse bien tout ; ne brusque rien… Si ta résolution persiste, tu le diras à ta mère, – quand elle sera un peu plus forte, toutefois, – et aussi à ton père et à ton parrain… Moi, je me chargerai d’en informer Jean, et je tâcherai de le consoler… Voici le temps pascal, prie : Jésus ressuscité se chargera de te faire connaître ce qu’il attend de toi.

La jeune fille baissait la tête sous la parole pénétrante de son conseiller. Quand il s’arrêta pour lui dire adieu, elle leva sur lui ses beaux yeux éclairés d’une lueur d’au-delà, lui tendit les deux mains, et répondit simplement :

– Merci, monsieur le curé, je ferai ce que vous m’ordonnez ; et, ensuite, ce que Dieu m’ordonnera…

Juste à ce moment, un coup tinta à la grosse cloche de La Capelle, puis un autre, puis un troisième.

– Oh ! une « finie » ! monsieur le curé, s’écria Linou. Quelqu’un est mort…

Tous deux se signèrent.

– Qui donc était malade ? interrogea l’abbé.

– Mais personne gravement, à ma connaissance…

Une jeune femme descendait la côte, allant laver à l’étang. Linou l’interpella :

– Martine, pour qui sonne-t-on ?

– C’est pour ce pauvre Garric, du Vignal, notre voisin… Oui, Garric le menuisier… Il s’est tué en ébranchant les peupliers du maire.

– Garric ? Oh ! mon Dieu ! s’écria la jeune fille, toute pâle.

– Le malheureux ! ajouta l’abbé Reynès en se découvrant et murmurant une oraison.

– Malheureux, en effet, ajouta la paysanne. On l’a rapporté vivant encore et même ayant toute sa connaissance. Monsieur le curé de La Capelle était allé voir la mère Puech, au Vitarel ; et, quand il est revenu, le pauvre Garric avait passé… Ah ! monsieur Reynès, si nous vous avions su ici !…

– C’était un brave homme, reprit le prêtre : Dieu lui aura fait bon accueil… Je vais serrer la main de sa veuve, en passant. Son fils doit être déjà prévenu… Pauvre garçon !

– J’irai demain les voir, monsieur le curé ; ce soir, je suis absolument nécessaire à la maison.

– Bonsoir, mes enfants, fit le curé de La Garde en saluant les deux femmes pour gravir la côte aussi vivement que le lui permettait sa verte soixantaine, alourdie d’un peu d’obésité.

La cloche, qui avait annoncé la mort de l’humble terrien par quelques tintements espacés et comme haletants, alternait, maintenant, ses durs coups de battant, deux par deux, avec ceux de la petite cloche, et ce glas, dans l’air calme et limpide d’une soirée vraiment printanière, paraissait plus lugubre encore par le contraste de la mort et de la vie, de cette tombe ouverte à côté des sillons reverdis. Pauvre Garric ! Il s’est cassé les reins en émondant les peupliers ; et les peupliers, gonflés de sève, bourgeonnent jusqu’à leurs plus hautes ramures, et vont chanter dans la brise en berçant les nids de la saison nouvelle.

Le lendemain, dans l’après-midi, Linou ayant prié l’oncle Joseph de remplacer au moulin la servante, afin que celle-ci pût s’occuper de la convalescente et donner ses soins à la basse-cour, monta au Vignal porter ses consolations à la veuve Garric.

Tout était silencieux dans la courette qui précède la misérable demeure. Deux poules y grattaient le fumier, et la chienne, allongée devant le seuil, ouvrit à peine ses yeux tristes, sans aboyer.

La jeune fille pressa le loquet et, doucement, poussa la porte… Qui n’a pas vu un de ces pauvres logis de village où la mort vient d’entrer ne saurait s’en représenter le navrant aspect. En face de la porte, à droite du foyer, le vieux lit à alcôve, fait de planches disjointes et enfumées, garni de maigres rideaux d’indienne déteinte, à la frange supérieure desquels un petit bénitier de porcelaine est fixé sous un crucifix et une branche de buis sec. Sur le retroussis d’un rude drap de chanvre, le mort, dont un des rideaux masque la figure, étend ses bras maigres et rigides et ses mains jointes sur un chapelet. Le pétrin, qui sert aussi de table, a été poussé contre le pied du lit et porte une assiette avec un rameau de buis vert plongeant dans de l’eau bénite. Attaché au dos d’une chaise dépaillée, un cierge jaune se consume lentement.

La veuve est assise sur une chaise basse devant le foyer, et se tient la tête enfoncée entre les bras, au niveau des genoux. La Sœur Saint-Cyprien, assistée d’une belle-sœur du mort, fixe sur un drap de lit destiné à recouvrir la bière quelques branches de buis et de houx, la seule verdure du pays en cette saison.

Et le soleil pénètre par l’interstice des volets entrecroisés ; et une première mouche, éveillée par la tiédeur du renouveau et par l’odeur de la mort, voltige dans un rayon.

Linou va droit au lit, prend le rameau trempé d’eau bénite, écarte un peu le rideau qui cachait le pauvre visage tiré et figé, et fait les aspersions accoutumées. Puis elle s’agenouille et récite le De profundis. Enfin, elle s’approche de la veuve, qui ne l’a pas entendue entrer, lui touche le bras. Mariannou relève la tête, pousse un cri, se dresse et se jette en sanglotant au cou de la jeune fille.

– Ah ! ma petite, ma chère petite !… Que je suis malheureuse ! Mon pauvre homme ! Mon pauvre Garric !

Et c’est l’inévitable, l’éternelle lamentation, la même partout, en son fond et même en sa forme, qu’elle monte de la cabane ou du palais.

Aline s’efforça de calmer et de réconforter la veuve ; elle pleura avec elle : on n’a encore rien trouvé de mieux pour atténuer l’amertume des larmes d’autrui que d’y mêler ses propres larmes. Puis, elle lui demanda où était son fils.

– Jeantou ? Ah ! le pauvre enfant, gémit la veuve ; il est à la mairie, ou à la cure, peut-être chez Josépou de Reine, à commander ou à fabriquer lui-même la caisse… Il rentrera sans doute bientôt… Ah ! il souffre bien aussi le brave garçon…

Linou, s’excusant sur l’état de faiblesse de sa mère et sur la nécessité de préparer le souper pour les meuniers et pour quatre ou cinq coupeurs d’arbres ou charroyeurs qui allaient revenir affamés de la forêt, abrégea sa funèbre visite, promettant de revenir le lendemain matin pour les obsèques. Elle fit encore une prière, au pied du lit, échangea quelques mots avec la Sœur Saint-Cyprien, et sortit doucement en refermant la porte.

Mais elle était à peine hors de la cour qu’elle se trouva en face de Jean, qui revenait, son chapeau à la main gauche, et de sa main droite maintenant en équilibre sur son épaule le frêle cercueil de hêtre destiné à ensevelir son père.

Aline s’arrêta, le cœur affreusement serré, et demeura comme pétrifiée au milieu du chemin ; Jean ne l’aperçut qu’au moment où il allait la dépasser.

– Linou !

– Jean !

Et ils restèrent là un instant, n’osant rien se dire, tous deux sanglotant ; ils ne s’étaient pas revus depuis la scène des aveux au Moulin-Bas…

Enfin, Garric s’approcha du mur en pierres sèches bordant le chemin, y déposa son sinistre fardeau et, debout, tête nue, les bras pendants, continua à regarder à travers ses pleurs la jeune fille, qui ne trouvait à dire que ces mots :

– Sois courageux, Jean, sois courageux… Je te plains de tout mon cœur.

Et elle lui avait tendu les deux mains dans un geste d’infinie tendresse.

Mais une vibration métallique fendit l’air, et le premier coup d’un nouveau glas tomba sur eux du haut du clocher. Un sanglot déchirant du jeune homme y répondit. Linou retira ses mains, répétant :

– Jean, du courage ! du courage ! Et elle s’en alla.


Nous prions instamment nos abonnés de ne pas omettre de joindre 25 centimes à foute demande de changement d’adresse, pour frais d’impression de [a nouvelle bande. LELLRLRÉRÉRRLAELRLALLRLE LL Le Journal de L’Université des Annales publie in extenso et illustre de 1,250 gravures toutes les Conférences faites à L’Université des Annales L’Année Scolaire, de 25 N° : Abonnt 10 FRANCS (15 francs pour l’Étranger). SOMMAIRE da M° 12 (1° juin 1913, ———— Le Roi Lear Jean RICHEPIN

Le Roi Lear et ses Trois Filles : Glocester et ses Fils : Le Caractère de Cordelis ; La Folie du Roi Lear ;: Les Ferocités Physiques et Morales ; Le Retour de la douce Cordelia. Les Poètes et la Table Adolphe BRISSON Ma Cuisine, Paul Harel ; Ballade, Léo Lespès : Ode à la Vigne, Jean Richepin ; Le Double Régime, Henri Lavedan ; Les Vins de France, Vieil Artiste, Charles Monselet ; Avril, Miguel Zamacoïs ; La Soupe à l’Oignon, Le Gigot, Raoul Ponchon : La Bouillabaisse, Jacques Normand : Poularde de Bresse, Gabriel Vicaire : La Pêche, Victor Hugo. Les Fêtes à Versailles A.-E. SOREL Musique : Revenez, Amours, revenez (Thésée), mélodie de Lulli.

50_Illustrations Gravures anciennes, Vieilles estampes.

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e suite les douze numéros Livre d’Or des Légendes.