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sortes et de toutes couleurs, de combien d’impostures leur beauté est-elle faite ! Que de travaux sur ce visage ! Que de réparations sur ces ruines ! Et qu’il doit en coûter à ces triomphantes Incurables de rester figées dans un printemps qui ne finit point... Je me demande toujours ce qu’il reste de lasomptueuse blonde — dont le demi-siècle a sonné depuis longtemps — au petit lever, par exemple... et de quel œil le mari, s’il y en a un, ou la femme de chambre, peut contempler, au jour cru du matin, les restes de cette beauté dépouillée de ses artifices. Ce doit être affreux à voir. Et on voudrait savoir quel triste plaisir ces coquettes acharnées peuvent trouver aux petits jeux de la séduction, quand l’heure des conquêtes est passée, et pourquoi elles étaient des supercheries qui ne trompent plus personne et prêtent si fort au ridicule... Ignorent-elles donc la grâce de vieillir dans la douceur ensoleillée d’un bel automne ? Car vieillir, c’est un mot ; on ne vieillit pas en suivant les lois harmonieuses de la nature, puisque tout ce qu’on aime vieillit dans le même temps, puisqu’une autre génération qui vous ressemble peut-être, mais à laquelle vous ne pouvez plus ressembler, est là tout près. C’est elle, la jeunesse chaude, joyeuse, frémissante qui est le reflet de votre beauté, avec une fraîcheur nouvelle. C’est elle votre printemps. Elle a son physique comme vous avez le vôtre et il sied que votre pre. mière ride ou votre premier cheveu blanc soit le signe qui marque la nouvelle étape que vous venez de franchir dans le grand voyage de la vie... Jeune ou vieille 7... peu importe ! L’important est de rester en harmonie avec la « saison » de son existence, avec la saison : été, automne ou hiver, qu’on est en train de vivre... chacune belle à sa manière, et vilaine seulement quand elle est prétexte à parodie. Les aspects frivoles et tous les attributs de la jeunesse ne vont qu’à une figure de vingt ans. Les femmes de la seconde génération ont aussi leur séduction, mais d’autre essence :

elles plaisent par les qualités du

cœur, qu’elles savent mieux dévoiler, par leur esprit qui jaillit plus spontanément... par tout ce que leur maturité a d’aimable, d’émouvant et de sincère. Et aussi, parce que leur visage conserve fidèleinent, profondément, l’empreinte heureuse ou douloureuse du grand roman vécu par toute vie (si humble soit-elle), et qu’il gagne, par cela même, en expression, en caractère, ce que les années lui ont fait perdre d’éclat. Laissez donc le« divin miroir », comme disent les poètes dans leur langage fleuri, laissez-le refléter votre âme loyalement, ne le travestissez pas sous le fard, ne le maquillez pas d’une fraîcheur factice ; les ombres que le temps creuse sur vos joues, les fils d’argent qui sillonnent votre chevelure, sont doux et charmants à votre beauté vieillissante, Il n’y a aucune honte à prendre l’air de son âge, il y a quelque chose de tristement comique à vouloir paraître quand même ce que l’on n’st plus... Oh ! les recettes de jeunesse qu’échangent entre elles ces beautés demi-séculaires !.. L’une sait un spécialiste d’une habileté inouïe, qui pratique les piqûres sous-cutanées à la vaseline. « Vous comprenez, chère amie, une petite injection de rien du tout, votr Boite by P LES ANNALES . se gonîle légèrement, et puis se tend souple et lisse, vous n’avez plus une ride, et un teint d’une transparence !» Comment résister ?.. L’autre a mieux encore. Elle connaît un praticien anglais, qui, en quinze jours de traitement, vous rajuste la peau du visage, que cela en est incroyable, « Une petite incision sous les cheveux, Madame ; l’artiste saisit votre peau, la tire avec précaution, mais énergie, la recoud, en prenant soin de ne pas contrarier le sens de la peau... Alors, plus de bajoues, plus de rides. Au bout de deux semaines, vous sortez de l’établissement avec un visage de poupon rose...» L’héroïne omet de dire que, dans cette belle cure, elle a perdu jusqu’au sourire... En effet, la peau est préparée de telle sorte qu’il est impossible d’esquisser autre chose qu’une grimace à bouche fermée en signe de satisfaction. Quant à rire. il n’y faut plus songer jamais. Un tambour rit-il ?... Or,ses joues sont tendues comme la peau d’un tambour. Elles éclateraient plutôt que de se dérider. Une autre de ces dames conte les prouesses d’un opérateur qui s’attaque aux dents jaunies :

quelques séances électriques, un petit

coup de rayons X, et voilà les quenottes redevenues d’une blancheur juvénile. Et teur faconde ne tarit point... ; elles en savent des choses, et puis des choses ! des recettes, et puis des recettes ; elles savent tout, hormis l’art délicieux de vieillir. Leurs singeries, leurs minauderies, leurs enfantillages sont proprement insupportables, et quand, par surcroît, elles prennent des airs flirt, on est tenté de crier, comme letiti de la rue : — Vieux tableau, va ! Tu ne t’es donc pas regardée daus ta glace ?.. Est-ce à dire qu’une femme ayant dépassé la quarantaine doive abdiquer toute coquetterie ?

Je crois exactement le contraire... C’est

l’âge où il faut user, plus que jamais, de l’hygiène, de la marche, de l’eau froide, des frictions, des exercices, et de tous ces soins quotidiens qui gardent le teint clair, la démarche aisée, les mouvements souples, et l’aspect de santé « fleurant bon », qui rendent si appétissantes les femmes décidées à vieillir avec bonne humeur et esprit. Il y aurait un volume à écrire sur l’art de vieillir... Il vient tout naturellement, cet art-là, aux femmes qui, ayant vécu la vie normale, avecun amour unique au cœur,ont mis au monde dans la joie des enfants sains, et ont su garder des amis chaque jour plus chers, Les enfants grandissent, les amis vieillissent, et l’on ne songerait guère à vouloir faire autrement qu’eux, puisque vieillir est un accident commun, et qu’à le subir ensemble et tendrement le cœur reste toujours jeune... « L’enfer des femmes est la vieillesse », a dit La Rochefou. cauld, — et il s’est grandement trompé. L’enfer des femmes, c’est la préfention à la jeunesse, C’est cette prétention-là qui nous offre le spectacle ridicule ou risible de cette vieille garde endiamantée, de ces débris peinturlurés, de ces poupées sinistres et étincelantes qui sont l’ornement des salles très parisiennes de grandes « premières ». TVONNE SARCEY. PPS LS PSS INIST POUR LE CLOCHER DE MONTCHAUVET Total des listes précédentes : 1,787 fr. 50. M. l’abbé B...,à TT... (Gironde), 2 fr. — M. Frédério Letellier, à Rouen, Ofr. 75. — M’° Marie-Louise et Marguerite, à Chambéry, 1 fr.— Une Fidèle abonnée des Conférences, 2% fr. — M°®° Emile Braichotte, à Melun, 20 fr. — M’° Lebrou, & Paris, 6 fr. — Personnel des Annaleæg et de L’Université des Annales, 163 fr. 75.


II

Le curé de La Garde pénétra dans la basse-cour, où, soudain, un vieux canard « musqué » s’élança vers lui en sifflant, tandis qu’une truie, qui allaitait ses gorets, se dressa, hargneuse, faisant mine de saisir par sa soutane l’indiscret visiteur. Mais, sur le petit perron de l’escalier extérieur, une jeune silhouette apparut : c’était Aline. Toute surprise, toute rougissante, elle descendit vivement les marches, donna quelques coups de gaule à la truie et au canard acharné après les mollets de l’abbé. Puis, elle introduisit celui-ci, avec mille excuses…

– Ma foi, s’écria-t-il en riant, ta basse-cour n’est guère accueillante, ma petite Line… Est-ce que mes anciens paroissiens ressembleraient à tes bêtes, par hasard ?

– Oh ! monsieur le curé, pas ceux du moulin, en tout cas… Que je suis confuse de vous recevoir ainsi ! j’étais loin de vous attendre…, à pareille heure !… Pourquoi n’être pas venu avant le dîner ?… Je vais chercher maman, qui, par ce beau soleil, a voulu descendre au jardin.

– Attends, Linette, attends un peu… Nous irons vers ta mère ensemble… Tu es seule, ici ?

– À peu près ; la servante est au Moulin-Bas ; mon père et mon frère au bois du Lagast ; et parrain « visite » des ruches, je ne sais trop où.

Elle faisait asseoir l’abbé Reynès qui, sitôt assis, posait son chapeau sur ses genoux, par vieille habitude humait une prise de tabac et, remontant ses lunettes sur son front, dévisageait malicieusement et affectueusement son ex-petite paroissienne.

– Comment se porte-t-on, au moulin ? Maman est tout à fait guérie, n’est-ce pas ?

– Tout à fait, non, monsieur le curé ; ses forces ne reviennent pas vite…

– Et toi, Linette, tu vas bien ?… Voyons, regarde-moi… Un peu pâlotte et maigrie, il me semble… Et ce n’est pas étonnant, après tout le chagrin et toute la fatigue de ces trois mois… Mais tes couleurs reviendront avec les fleurs du printemps. Tu es tout à fait rassurée sur la santé de ta mère ; et Cadet a tiré au sort un numéro qui permet d’espérer qu’il ne sera pas soldat.

– Le numéro 55 ; ce n’est pas merveilleux, monsieur le curé ; mais il y a, paraît-il, grand espoir que ce sera suffisant… Oui, grâce à Dieu, les choses s’arrangent un peu chez nous, quoique je devine que mon père a encore bien des tracas…

– Qui n’en a point ?… Mais toi, petite, dis-moi, pendant que nous sommes seuls, si tu n’as pas d’autres peines que celles de tes parents.

– N’est-ce pas assez, monsieur le curé, que notre part dans les soucis de ceux que nous aimons ?…

– Linou, sois franche… Tu vois bien que je sais quelque chose… Et, quoique n’étant plus ton confesseur, je suis assez