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tait point parvenu à l’apprivoiser, ni même à lui faire quitter, pour le venir chercher un sou ou une image, le coin entre la pendule et l’armoire où il s’allait cacher dès qu’il apercevait une soutane sur le chemin… Il aimait bien l’abbé Reynès, pourtant, qui l’avait baptisé et lui avait enseigné sa religion ; il le vénérait, mais il le craignait aussi… Que pouvait-il lui vouloir ? Un service ?… Le farinel des Anguilles était-il en mesure de rendre un service à M. le curé de La Garde ? N’était-ce pas là un prétexte pour lui parler de Pierril, de Mion peut-être ?… Si le curé se doutait déjà de son aventure ! L’ignorât-il, comment la lui cacher à travers une conversation où le prêtre aurait sur son rustique interlocuteur la supériorité du savoir, de l’expérience, de la pratique de son ministère surtout ?… Ne serait-ce pas presque comme au confessionnal ?…

C’est donc en tremblant un peu qu’après la messe, Garric s’en fut frapper à la porte du presbytère. Il se trouva nez à nez avec la sœur du curé, Victorine, vieille fille boiteuse, mais active, remuante et autoritaire, gouvernante et cuisinière à la fois, et qui eût volontiers, si son frère n’y avait mis bon ordre, mené, non seulement la cure, mais la fabrique, le confessionnal, la paroisse tout entière. La main vite tendue et large ouverte pour recevoir les cadeaux, les « présents », mais lente à s’avancer pour offrir le verre de vin du remerciement, elle accueillit sèchement le nouveau venu, qu’elle ne reconnut pas, ou feignit de ne pas reconnaître, et qui ne portait ni panier, ni gibecière, ni rien d’où pussent émerger des poulets ou des œufs, du beurre ou du miel, un lièvre ou des truites.

Jean lui ayant expliqué que M. le curé lui avait recommandé de venir à la cure attendre les vêpres, elle fit la grimace et, bougonnant tout bas, introduisit le jeune homme, – non dans la cuisine, où il eût aperçu un chapon tournant à la broche, – mais dans la salle à manger, où flambait un bon feu et où le couvert n’était pas encore mis.

Il n’était pas assis que le curé entra, accompagné d’un homme de haute taille, légèrement voûté, – quoique ne paraissant guère que la quarantaine, – et dont la tenue indiquait presque un « monsieur ». Dès la porte :

– Ah ! te voilà, Garrigou ! s’écria familièrement l’abbé Reynès. Et il lui frappa deux ou trois fois sur l’épaule.

– C’est bien, d’être obéissant… Voici mon meilleur ami, dit-il en présentant son compagnon… Monsieur Bonneguide, notre maître d’école, – notre instituteur, comme ils jargonnent à présent… Et voici Jean Garric, fit-il, en montrant le garçon meunier, un de mes anciens paroissiens de La Capelle, que j’ai fait chrétien, il y a vingt ans, que j’ai, ensuite, perdu de vue parce qu’il était berger au loin, et qui, je ne sais comment, est devenu farinel au moulin des Anguilles… Un joli trou où tu es tombé, pour tes débuts, mon pauvre Jean !… Et quel patron !… Mais, chut ! Soyons charitables, puisqu’il a promis à Monsieur Cabirol de ne plus boire que du vin de ses anguilles…

Jean balbutiait… Pourvu que l’abbé Reynès ne s’avisât pas de parler de Mion !…

– Tu manges la soupe avec nous, n’est-ce pas, Jeantou ? Et, sans attendre la réponse :

– Victorine, un couvert de plus pour Garric, de La Capelle, que tu n’as sans doute pas reconnu, tant il a grandi.

Victorine dévisagea le jeune homme, prononça quelques mots de surprise aimables dans un sourire figé… Elle se serait bien passée de ce nouveau convive.

Jean essaya de s’excuser… Ses maîtres l’attendraient pour dîner… Il n’avait pas prévenu qu’il ne rentrerait pas… Et si M. le curé voulait bien tout de suite lui dire quel service il désirait de lui…

– Ta, ta, ta… Un jour de Noël, meules et scies se reposent ; et les Pierril ne sont pas gens à s’inquiéter de ton retard de quelques heures… D’autant qu’un bon paroissien doit assister aux vêpres, et qu’on est mieux pour les attendre chez le curé qui doit les dire, et en la compagnie de ceux qui les chanteront, qu’au cabaret de la Mannelle ou de Pipette…

Le farinel dut se rasseoir. Pendant que Victorine mettait le couvert, trois autres invités entrèrent, tous chantres au lutrin, à qui l’abbé Reynès, quatre ou cinq fois l’an, aux grandes fêtes, offrait le régal reconnaissant d’un déjeuner plantureux et copieusement arrosé, – comme il convient à tout repas de chantres.

Ce déjeuner fut, d’ailleurs, fort gai. L’abbé était d’une verve paysanne intarissable et pittoresque ; le mot gaulois, à l’occasion, ne l’effarouchait pas. Il avait même l’épigramme un peu trop facile, au dire de plus d’un ; mais sa bonté naturelle, sa charité évangélique, adoucissaient ses moqueries d’un sourire, et la fine blessure n’était jamais empoisonnée… Il mit très vite ses convives à leur aise, – excepté Garric, à qui son secret pesait comme une meule de son moulin, et qui n’osait lever les yeux, tremblant que chacun n’y lût son aventure de la nuit.

Le curé taquina Bénézet, le tisserand, sur sa façon de détonner à l’épître, et le forgeron Panissat sur sa rage d’entonner si haut les psaumes qu’il obligeait les gens du fond de l’église et de la tribune à s’égosiller en allongeant le cou comme des canards qui s’étranglent, et les pauvres petits écoliers à rester muets comme des goujons.

– Or, il faut qu’ils chantent, ces enfants, comme il faut qu’ils rient et qu’ils jouent. C’est le charme des offices que des voix enfantines se mêlant à celles des hommes… N’est-ce pas votre sentiment, monsieur Bonneguide ?

– Si, monsieur le curé, répondit le maître d’école ; et, s’il ne dépendait que de moi, nous aurions une petite maîtrise pour les jours de grandes fêtes… Mais comment faire, avec des entêtés comme Panissat et comme Canivinq ?…

– Un ténor ne peut chanter qu’en ténor, et je suis ténor, claironna le forgeron en se rengorgeant.

– Et moi aussi, se hâta d’appuyer Canivinq, un maçon court et trapu, à tête socratique, qui avait la spécialité d’élever des croix de pierre aux carrefours des vieux chemins et d’y tailler des figures ingénues dont il était le seul à ne pas sourire.

– Vous êtes des ténors, soit, mais vous êtes surtout vaniteux, répliqua M. Bonneguide. Vous chantez comme les dindons font la roue. Il faut qu’on vous distingue. Il faut que les gens du fond de l’église ou du porche disent : « Quel gosier que ce Panissat ! Quels poumons que ce Canivinq ! » Et tant pis pour nos pauvres petits s’ils ne peuvent, sous peine, de se casser à jamais la voix, escalader les hauteurs où planent ces deux grands artistes…

– Bien dit ! cria l’abbé, battant des mains. Belle leçon de modestie !…

– Tout ça, grogna le forgeron, le regard furieux, c’est de la jalousie… Monsieur le maître n’a pas de peine à rester dans les notes du milieu, avec sa voix grise et ses soufflets fatigués.

Et il ponctua sa réplique d’un rire formidable, auquel fit chorus le rire édenté et graillonnant de Bénézet.

– S’il se fatigue les « soufflets », comme vous dites, sans doute en songeant à ceux de votre forge, intervint le curé, c’est que Monsieur Bonneguide à soixante « drolles » à contenir, à chapitrer et à éduquer du matin au soir. Il cogne moins fort que vous du poing, Panissat ; mais il s’adresse à des têtes presque aussi dures, parfois, que votre enclume ; et il crache un peu de ses poumons quand vous ne donnez que de vos muscles.

– C’est entendu, monsieur le curé ; Monsieur Bonneguide est un excellent maître, on ne peut pas dire le contraire ; à preuve mon cadet, qui, sous Monsieur Lacoste, n’avait pu apprendre ses lettres en deux ans et qui, en un an, a appris de Monsieur Bonneguide à lire à la messe, dans le manuscrit, et à faire ses quatre règles… Mais cela n’a rien à voir dans la façon de chanter au lutrin, et je suis pour la mienne ; à pleine voix et aussi haut et clair que l’on peut, pour que le ciel entende !

– Quelle tête !… Mais si les enfants ne peuvent chanter dans ce registre ?

– Ils attendront d’être des hommes et chanteront ensuite comme nous… Les poulets piaillent ; les coqs seuls sonnent du clairon…


LES CONFÉRENCES DE L’UNIVERSITÉ DES ANNALES Lundi 5 mai, a 5 heures La Jeunesse de Demain Conférence de M. Jean RICHEPIN, de l’Académie frauçoise. L’AUTEUR dira « L’Epitre à mon Ami » et d’autres Vers. —— he —— Jeudi 8 mai, à 5 heures Chansons MilitairesConférence de M. Hmum CAIN Avec l’émineat concours de Mme DELHA, = flonri CAR M. POLIN et M. BOURBON Le Journalde L’Université des Annales publie in extenso et illustre de 1,250 gravures toutes les Conférences faites à L’Université des Annales L’Année Scolaire, de 25 N° : Abonn’ 10 FRANCS (165 francs pour J’Étrangc :!. SOMMAIRE du M° 10 (f<* mai 1913) ——#e——— Le « Falstaff » de Shakespeare Jrxx RICHEPIN Le Souvenir chanté par les Poètes Marc VARENNE Poëmes de Vicron Huco, Ronrnsacn, Saman, Suiv Pauonomme, Haner Baranzis, Manc VARENNE, etc. Thdûtre de Rois Pau GINISTY Le Tracarsier, proverke de la Grande Catherine. Fêtes Javanaises & Hindoue Pan OLIVIER Danse Javanaise, pour piano, par Paur Vipaz. $o Illustrations. que" ia pen reoivent de suite les dix numéros Prime : Le Livre d’Or des UNIVERSITY OF MICHIGAN a —