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Une femme tient le meilleur de sa valeur, de sa confiance dans l’homme qu’elle aime, ou de sa simplicité ou de sa bonté, jamais de sa prétention. J’ai vu beaucoup de femmes agir en femmes supérieures et ne s’en point douter ; j’en ai vu d’autres, assurées de leurs mérites, et qui, à force d’orgueil, manœuvraient avec une maladresse rare, Ce sont de ces sortes de femmes supérieures qui font le malheur de tous ceux qui les approchent, dont on s’écarte avec un empressement merveilleux, et qui restent seules dans un désert dont elles s’imaginent être la reine, Non, cent fois non, madame, ne cherchez pas à être une femme supérieure, dans le genre de la poétesse, Mais, si vous faites tendrement votre devoir, si vous aimez de toutes vos forces et si le cœur guide tous vos actes, vous serez supérieure sans le savoir, sans le voulof, car vous donnerez le bonheur, et il n’est point de meilleure supériorité que celle-là. YVONNE SARCEY. Nous recevons chaque jour des lettres bien touchantes à propos du clocher de Montchauvet. Nous ne résistons pas au plaisir de publier celle-ci, qui donnera, en même temps, l’idée de l’enthousiasme que M. Jean Richepin a soulevé en Algérie : Blida, le 16 avril. Chère cousine, Il est onze heures du soir. Je sors du théâtre, où je viens d’entendre la parole du maître sur Les Deux Légendes de Napodéon. Me voici chez moi, ému, enthousiasmé, vibrant et pleurant. . Ah ! cousine, j’avais k4 dans Le Journal de l’Université, les belles conférences de Richepin sur le théâtre antique et sur Shakespeare, et cette lecture m’avait emballé et je répétais : — Que c’est beau ! Que c’est beau ! Mais il y manquait la voix Hu poète, cette voix chaude, caressante, enveloppante et forte. Cette voix, je viens de l’entendre, et les mots me manquent pour exprimer ce que je ressens. Cousine, cousine, La Cavale, Waterloo, et Les Deux Grenadiers, dits par Richepin, ne sortiront jamais plus de ma mémoire. J’ai applaudi le maître de toutes mes forces ; ma gratitude n’est point satisfaite, et, désireux de remercier l’admirable conférencier sous une autre forme, je vous prie, chère cousine, d’ajouter ma modeste offrande aux nombreux dons qui vous sont déjà parvenus et dont l’ensemble permettra de restaurer le petit clocher du grand village administré par M. Jean Richepin. Ainsi exprimerai-je à nouveau ma part de reconnaissance à « Péminent ambassadeur de la parole ‘et de la pensée françaises ». G. SCHNEIDER, rue du Bey, à Blida (Alger), Rusetense st POUR LE CLOCHER DE MONTCHAUVET M® J. Gourdon, à Combrée, 1 fr. — M’* Labeaume, À Asnières, 6 fr. — M. Fertiault, à Paris, 10 fr. — M. Albert Boileau, à Frétigney, 5 fr. — M. G. Schnelder, à Blida, 5 fr. — Anonyme, 2 fr. — M. Paul Humbert, à Nancy, 2 ? fr. — M’e Halzakal, M® Angiarès, M’* Guidet Malaria, à Tsarkoié-Sélo, 2 fr. — Une cousine, à Vieux-Condé, 2 fr. — M’* Léonie Wysman, à Sèvres, 1 fr. — M" Hariot, à Charenton, 1 fr. = M Mairesse, à Paris, 10 fr. Total : 1,684 fr. 50.


IV

Pauvre demeure que celle des parents de Jean Garric ! Bâtie en retrait sur le bord d’un ancien chemin raviné et pierreux, quoique noblement appelé encore le « chemin royal », elle ne se composait que d’un petit rez-de-chaussée et d’un galetas. Deux lucarnes à celui-ci, la porte et une fenêtre à celui-là, ouvrant sur une étroite cour ; et, adossée au pignon, une étable surmontée d’un poulailler. Le tout séparé du chemin par une fermeture à claire-voie.

Quand Jeantou arriva devant le misérable logis qui, sous la neige et dans la brume, paraissait bien plus indigent encore, une très faible lumière en sortait par l’unique fenêtre, à travers les étroits carreaux givrés, dont deux sur six étaient en papier, et dont un troisième, récemment brisé, était remplacé par un paquet de vieilles hardes enfoncé en tampon dans l’ouverture.

De l’intérieur, sa vieille chienne de berger, Pitance, qu’il avait ramenée de la Gineste, lança deux ou trois abois ; mais bientôt, reconnaissant le visiteur, elle se mit à gratter sous la porte, en poussant de petits cris de joie et de tendresse. Et Jeantou, pressant le loquet, entra en disant :

– Bonsoir à tous !

Pitance, la première, l’accola, lui plantant ses deux pattes sur la poitrine et lui passant sa langue sur la figure comme lorsqu’il était enfant. Puis, ce fut au tour de la mère Garric, qui, en hâte, avait posé son écuelle à demi pleine ; enfin, le père Garric qui, assis à un bout du pétrin servant de table, coupait des tranches de pain noir dans son assiette, pour une deuxième ration de soupe maigre, se dressa, non sans quelque peine, étant rhumatisant, pour embrasser aussi son garçon.

– Pauvre petit ! s’exclamait la mère. Quelle surprise tu nous fais !… Est-ce que c’est un temps à voyager, pour un chrétien ?

– Mais oui, maman, une veille de Noël !…

– Bien répondu, Jeantou, disait gaiement le père. À ton âge, un peu de froidure n’est pas fait pour faire peur… Il y en a pourtant du mauvais temps, ajouta-t-il en regardant attentivement le jeune homme dont les cheveux étaient poudrés de givre et la blouse raidie et ballonnée.

– Il y en a, en effet, répliqua Jean en s’approchant du feu, qui dansait joyeusement sous la marmite, et en allongeant vers la braise ses gros brodequins aux lacets desquels pendaient des boules de neige congelée.

Pitance oubliait sa soupe et les croûtes de pain moisi qu’on lui jetait pour appuyer sa tête sur le genou de son jeune maître, et le regarder tendrement dans les yeux, avec, dans la gorge, de petits gloussements qui en disaient plus que de longs discours.

La mère activait le feu. Le père avait laissé en suspens la taille de son pain ; et le chat gris tigré, à l’autre coin de l’âtre, dardait aussi ses rondes prunelles jaunes sur le visiteur, et faisait son ronron le plus sonore pour fêter son retour à sa façon.

– Tu n’as pas fait collation, sûrement, mon brave petit… Il n’est que six heures, et tu as dû quitter le moulin des Anguilles assez tôt…

– Je mangerai avec vous une assiette de soupe, s’il en reste.

– Il en reste un peu, oui…

– Pas fameuse, tu sais, mon garçon, la soupe de la « bourgeoise », ce soir, dit Garric, railleur.

– Pas fameuse…, pas fameuse…, bougonna sa femme… Tu sais bien que c’est aujourd’hui vigile, et que l’huile de chez la Bazilatte, n’est guère supérieure à celle de notre « calèl ». Mais j’ai des œufs, et nous ferons une « grélade » de châtaignes comme dessert.

– Parfait, maman.

Et Jean, prenant sa mère par le cou, l’embrassait bruyamment.

– Assez, assez, mon gros ; tu m’étouffes, criait la bonne femme, ravie, au fond de retrouver son Garrigou toujours plus fort, toujours plus beau, toujours plus affectueux.

Deux minutes après, il était assis en face de son père, et tous deux mangeaient gravement, lentement, échangeant de brèves répliques, tandis que la mère mettait la poêle sur le feu, cassait et battait les œufs, avivait la flamme, – vaillante, alerte, trottinant menu avec un bruit de sabots fêlés, et, de temps en temps, une menace au chat qui s’approchait curieusement de la poêle crépitante ou du buffet resté entr’ouvert.

Quand les œufs furent cuits et les châtaignes grillées, elle vint s’asseoir au bout de la table, entre les deux hommes, et tous les trois, les fronts inclinés l’un vers l’autre, les coudes se touchant presque, unis, heureux dans leur pauvreté, causèrent longuement… Ils parlèrent, cela va sans dire, du moulin des Anguilles, du meunier et de la meunière…, et aussi de « cette belle demoiselle Mion », revenue du Languedoc, avec des crinolines plus amples, avait-on dit à la mère Garric ébahie, que celles de la femme du maire et des dames du château.

– Est-elle vraiment jolie ?

– Oui…, pas mal… Trop rousse à mon goût, cependant. Pas mauvaise personne, d’ailleurs… Je pense qu’au premier jour, son père étant presque guéri, elle va reprendre sa volée ; le moulin des Anguilles n’est pas une cage pour un tel oiseau…

Ici, un silence. Jean avait une question qui lui brûlait les lèvres : que faisait-on au moulin de La Capelle ? Mais il n’osait la poser. Enfin, il s’avisa d’un détour.

– À propos de la Mion, fit-il, il paraît qu’elle fréquentait les fils Terral, à Montpellier… Est-ce que le cadet y est encore, ou s’il est rentré ?

– Il n’est pas revenu, dit Garric, et c’est une grande affliction pour cette famille : le père Terral en a vieilli de dix ans… Il ne décolère plus, paraît-il… Il s’attarde même au Perroquet-Gris, rabroue ses clients, en perd un bon nombre, malmène ensuite sa femme et sa fille cadette, – deux saintes, – sans lesquelles la maison sera bientôt perdue…

– Ah ! père, que me dites-vous là ? Les pauvres gens, comme je les plains !

– La mère et sa fille sont à plaindre, en effet, reprit la mère Garric ; mais Terral, entre nous, a bien un peu cherché