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je t’aime ! Je t’aime comme on doit aimer, d’un amour franc et honnête, qui a grandi peu à peu avec moi, et qui ne me sortira plus du cœur… Mes parents sont de braves gens, mais ils sont pauvres. Moi-même, je ne suis qu’un apprenti meunier… C’est pourquoi je ne t’avais pas jusqu’ici déclaré mes intentions. Je te les aurais cachées encore, sans ce qui arrive. Il me semble que je ne te suis pas indifférent ; mais je ne te demande ni aveu, ni engagement aujourd’hui : quand je serai en posture de prétendre à ta main, je viendrai la demander… Rappelle-toi cette parole ; elle est sincère et je la tiendrai…

Et il lâcha la main de la jeune fille, qui rougit et baissa ses yeux pleins de larmes, heureuse, au fond, du courage et de la franchise de son ami.

Terrai s’était contenu à grand’peine pendant cette audacieuse déclaration. Ses yeux perçants trahissaient un mélange de colère et de stupéfaction ; et ses doigts se crispaient sur un levier, qu’il avait machinalement empoigné et dont, à plusieurs reprises, il avait fait mine de vouloir se servir contre ce farinel effronté. Enfin, il éclata :

– Eh bien ! voilà un f… merle qui a vite appris à siffler… Le muet d’hier parle comme un maître d’école, ou un curé en chaire… En quel temps vivons-nous ?… Toi, dit-il, en se retournant vers sa fille, et la faisant pivoter d’une bourrade, va voir si ta mère a besoin de toi pour faire la soupe ou « lever » les œufs… Tu ne remettras pas, seule, les pieds ici, de longtemps.

Linou fondit en larmes, voulut, du seuil, dire adieu à son ami ; mais, bousculée par son père, suffoquée de sanglots, elle sortit, et le meunier battit la porte sur elle. Puis, revenant vers Garric :

– Et pour toi, beau farinel des Anguilles, beau coureur de filles jolies et dotées, tu tâcheras d’attendre, sur la chaussée du Pierrillat, l’eau que je voudrai bien t’envoyer et les clients dont je ne saurai que faire… Ne viens surtout pas rôder trop près du Moulin-Bas ni du Moulin-Haut de La Capelle, mendiant ; j’ai toujours deux fusils bien chargés dans ma cheminée : prends garde à la grenaille dans les jambes…

– Vos menaces ne m’intimident pas, père Terral ; mais j’aime trop votre fille pour rien faire qui pût lui causer tort ou ennui ; et vous n’aurez pas à décrocher votre canardière, je vous en réponds !

Ce calme exaspérait de plus en plus le bonhomme. Ah ! si Jeantou n’avait eu vingt ans, des bras musclés et une taille dépassant de toute la tête celle de ce roitelet de meunier !

– Va-t’en ! va-t’en ! glapissait-il, gueux et fils de gueux !

– Pauvreté n’est pas honte, père Terral ; mes vieux et moi pouvons passer partout la tête levée.

– Vous ne passerez plus sous ma porte, en tout cas ; tu m’entends ?…

Jean était déjà dehors.

Le meunier continua à lui crier par la fenêtre des menaces et des injures.

Mais, sans répondre, l’amoureux, ayant remis sa pioche sur l’épaule, reprenait, le long du ruisseau, le chemin des Anguilles.

Resté seul dans son moulin, Terral ouvrait toute grande l’écluse de ses colères. Il trépignait, sacrait, allait de la porte au blutoir, du blutoir à la trémie, de la trémie à la croisée, d’où il montrait le poing au vallon par lequel Garric s’en allait lentement. Il jetait son bonnet à terre, le ramassait, le triturait pour le jeter encore, puis le camper de nouveau sur sa tête, où il prit en un instant toutes les formes et toutes les inclinaisons imaginables. Et quel monologue à haute voix, selon sa coutume, émaillé de jurons et ponctué de coups de pied contre le coffre à farine, ou même contre les sacs des clients… Quoi ! tout se tournait donc contre lui… Son révolté de fils s’en allait courir au « pays bas »… Le moulin des Anguilles lui reprenait une partie de sa clientèle… Et, pour comble, il fallait que ce farinel d’hier, ce Garric, ce fils d’un journalier possesseur de dix brebis et d’une chèvre, non content d’aider Pierril à remonter en selle, vînt parler d’amour à sa cadette, et s’en fît aimer !… Ah ! mais les choses ne se passeraient plus comme ça… D’abord, c’est lui, désormais, qui s’occuperait du Moulin-Bas, et non sa fille… Quant au Moulin-Haut, parbleu, c’est sa femme qui se remettrait à le faire aller, ou Linou sous la surveillance de sa mère… Oui, tout s’arrangerait ainsi… – Tout ? Non : et la scierie ? Les grandes eaux allaient arriver au premier jour. Qui ferait marcher une scierie de cette importance, avec ses deux lames toujours en train, et qui débitaient des vingt-cinq « cannes » carrées de « feuillard » dans un jour ?… Oui, qui la ferait marcher ? – Ah ! ce fils aîné, qui avait étudié et qui plaidait, maintenant à Montpellier, et pour qui on avait dépensé si gros d’argent ! Que n’était-il resté à la maison ?… Voilà ce que c’est que l’ambition, Terral… Il fallait le garder près de toi, en faire un meunier comme toi, qui continuât ton métier et ta race… Quel vaniteux et quel sot tu as été !…

– Que faire, maintenant ? Prendre un gendre ?… Mauvais remède, car – outre que ma cadette est une têtue qui doit en tenir pour son Garric – je ne voudrais pour rien que le moulin de La Capelle tombât en quenouille, fût à d’autres qu’à un Terral… Il n’y a pas à hésiter : je vais faire écrire par le maître d’école à cet écervelé de Fric de revenir au plus tôt s’il ne veut être renié par moi et voir un étranger prendre sa place à table et au lit… Je le connais ; il doit déjà se mordre les doigts de son coup de tête ; il rentrera… Mais quelle humiliation, tout de même…

Et comme le moulin ralentissait son allure, le meunier comprit que son étang était épuisé jusqu’au niveau de la vanne ; il renfonça la pale, resta encore une minute à rêvasser dans le silence graduel de l’eau fuyante et de la meule s’endormant peu à peu… Puis, il remonta vers sa maison, toujours fiévreux, toujours trépidant, cognant ses sabots aux pierres et sacrant à mi-voix, – son haut bonnet enfariné traduisant dans l’air les agitations de sa pensée.


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