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Or, il est d’usage, dans nos campagnes du Ségala, que, pendant les jours de retraite qui précèdent la solennité de la première communion, les futurs communiants qui ont causé quelque préjudice aux gens du lieu, commis quelque vol de fruits, par exemple, ou laissé paître leurs bêtes sur les terres du voisin, aillent, en signe de réparation, demander amnistie à ceux qu’ils ont lésés. Jeantou crut de son devoir d’aller solliciter le pardon du cadet de Terral pour la malencontreuse boule de neige dont il lui avait meurtri le visage, l’hiver précédent. Et il reprit le chemin du moulin, très embarrassé de la façon dont il s’y présenterait, et plus encore de celle dont il parlerait ; car le pauvre garçon, nous l’avons dit, manquait d’aplomb et de facilité. Linou l’avait assez taquiné sur ce point :

– Celle qui t’a coupé le fil de la langue, Jeantou, a joliment volé à ta mère son argent.

Tout se passa mieux qu’il ne l’espérait. Le père Terral était occupé à la scierie ; et le suppliant put entrer sans être aperçu de ce petit homme, pas méchant au fond, mais dont tout le monde redoutait la pétulance, le verbe haut, les jurons et les railleries impitoyables.

Par contre, la meunière, Rose, la mère d’Aline, était la meilleure personne du pays, la plus douce, la plus aimante, la plus simple. Fille d’un propriétaire aisé du mas de Ginestous, elle aurait pu épouser un paysan cossu ; elle avait préféré Terral, petit meunier actif et vaillant, en qui elle avait deviné des trésors d’énergie. Elle eut à souffrir, certes, de l’humeur inégale, du caractère emporté de son mari, et aussi, étant elle-même très pieuse, de l’esprit gouailleur, gaulois, même légèrement impie, qui était celui de tous les Terral. Mais elle s’était renfermée dans la direction de la basse-cour, du jardin, et surtout dans l’éducation de ses enfants ; Aline sa préférée, lui ressemblait en bonté, en piété avec, pourtant, quelque chose de plus décidé, une voix plus forte et une plus forte volonté : la marque des Terral.

La bonne meunière embrassa Jean sur les deux joues, dès qu’il eut commencé sa phrase d’excuses, et envoya Linette au Moulin-Bas – dépendance du moulin de la chaussée – quérir son fils cadet qui, d’ailleurs, s’empressa d’accoler aussi très magnanimement le coupable contrit. Puis, la chère femme leur servit du miel de ses ruches et du pain de maïs sortant du four, – ce qui parut à Jean un régal délicieux.

– À partir de ce jour, dit Rose, je veux que vous soyez amis, tous les trois, vous entendez ?

– Mais nous le sommes déjà, fit gaiement Linou.

Cadet ajouta qu’il n’y voyait aucun empêchement ; et Jeantou, pour toute réponse, rougit jusqu’aux oreilles. Ah ! le bon souvenir qu’il emporta, ce jour-là, des meuniers et du moulin.

Enfin, voici la Pentecôte, et, dès l’aube les joyeux « trignons » des cloches de La Capelle. Le ciel est bleu, l’air est tiède. Les oiseaux se répondent, les seigles déjà hauts ondulent sur les collines, et les genêts en fleurs dorent et parfument les sommets. Quel beau jour de première communion ! Et le cadre est merveilleusement assorti à la solennité. Nous sommes loin de la ville, surtout de la grande ville, où communiants et communiantes promènent leurs blancheurs sur un pavé sali à travers une foule indifférente, affairée, souvent narquoise et corrompue : tels des pétales blancs de narcisses sur un bourbier… Ici, tout est pur dans l’air et sur la terre comme dans les âmes ; tout communie, aux bois, sur les sillons, dans l’herbe et dans les haies. Ici, Jésus peut réellement descendre : tout est préparé pour le recevoir. Et je comprends que le souvenir de cette journée suffise à embaumer une vie tout entière.

Et quel recueillement dans l’église de La Capelle ! Le son des cloches, la voix des chantres, l’odeur de l’encens, l’allocution vraiment évangélique du curé Reynès ; les cantiques naïfs dont les filles chantent les couplets et dont les garçons reprennent à pleine gorge le refrain ; ces figures rudes et recueillies de laboureurs, de bûcherons et de pâtres, de paysannes jeunes ou vieilles, tous dans leurs habits de fête, emplissant le fond de l’église, la tribune, les côtés, et couvant avec amour les jeunes convives du banquet céleste, – quel poète en a jamais su rendre la fraîcheur et le charme divins !

Le cœur de Jeantou fondait, et de douces larmes emplissaient ses yeux ; et Linette avait l’air d’une sainte de vitrail perdue en quelque extase, ravie en quelque vision anticipée du paradis.

III

Tous deux se retrouvèrent au pré, le lendemain, quelques jours et quelques semaines encore… Mais ce bonheur d’enfants, comme tous les bonheurs, arriva vite à sa fin.

Jean Garric était un robuste gars de quatorze ans. Ses parents, besogneux, jugèrent qu’il convenait de le louer, comme vacher d’abord, comme berger plus tard, chez quelque paysan aisé. Sa mère, peu robuste d’ailleurs, et ne pouvant guère travailler la terre, le remplacerait à la garde du petit troupeau de brebis. À la Saint-Jean, donc, Jeantou, désolé, mais soumis, partit, un soir, de la maisonnette du Vignal, avec un très léger paquet de hardes au bout d’un bâton de houx, et s’en alla garder les vingt vaches, velles et taureaux de Lavabre de Salvignac, dans des landes situées à une bonne lieue de La Capelle, où il ne revint, désormais, que les dimanches, pour entendre la messe et repartir au plus vite, – souvent sans même avoir aperçu à l’église ou au porche sa blonde petite amie du moulin.

Il essaya de se consoler en se disant que Linou l’aurait, d’ailleurs, tôt ou tard abandonné pour quelqu’un de plus riche et de plus savant que lui, pour quelqu’un, du moins, osant parler et dire ce que l’on a dans le cœur. Quant à lui, pauvre fils de pauvres, il serait berger sa vie durant, laboureur tout au plus, ou artisan, par le fait de son origine, de sa gaucherie, et quoique peut-être pas plus bête qu’un autre, parce qu’il ne saurait tirer aucun parti des qualités de son cœur ou de sa cervelle.

Perdu dans la plaine humide aux rudes herbages fauves, mêlés, par-ci par-là, de bruyères et d’ajoncs, s’abritant de la bise ou de l’autan derrière quelque tas de pierres grises ou dans les rustiques cabanes qu’il se construisait avec des mottes et des genêts, le petit vacher n’avait pas même la ressource de tendre des lacets aux bécassines dans les fontaines, – Linou lui ayant défendu de faire du mal aux oiseaux, – ni celle de jouer avec d’autres pâtres, les landes de Salvignac confinant à des bois et à des sommets incultes et inhabités. Il contait sa peine aux vents et aux nuages, ou à l’alouette qui montait en trillant dans l’azur ; et, chose singulière, il était alors fort éloquent.

Quant à Linette, elle eut une grande peine aussi de ne pas retrouver son compagnon au pâturage, car elle l’aimait bien, en dépit ou peut-être à cause de cette timidité où elle lisait tant d’admiration et de respect pour elle. Elle passa plusieurs jours sans chanter… Mais, à cet âge, la vie est si belle, si amusante, si distrayante ; la gaieté revient à l’enfant qu’un chagrin a effleuré, comme le chant à l’oiseau à qui on a ravi son nid. Aline, d’ailleurs, cessa bientôt après de garder les vaches ; sa sœur aînée s’étant mariée à un paysan habitant à plusieurs lieues de La Capelle, la cadette dut la remplacer auprès de leur mère dans les soins du ménage, du jardin et de la basse-cour…

À seize ans, le vacher Jean Garric devint pâtre de cent moutons, à la ferme de la Gineste, fort loin de La Capelle-des-Bois, sur la paroisse de Peyrebrune. Et des mois entiers, des saisons passèrent sans qu’il pût revoir Aline Terral, dont la figure peu à peu s’estompait dans la pénombre de ses souvenirs. Un jour, pourtant, ils se rencontrèrent à la foire de Peyrebrune, le lendemain de la Saint-Jean.


$LES CONFÉRENCES DE L’UNIVERSITÉ DES ANNALES Lundi 7 avril, à 5 heures De Cyrano au Cantique de l’Aile Causcrie de M. Évouaap HBRRIOT. M, Edmond ROSTAND, de l’Académie française, dira lui-même Le Cantique de l’Aile, le Sonnet à Beaumont : Rome, et les Sonnets du Printemps de l’Aîlte. Jeudi 10 avril, à 5 heures César FranckConférence de M. Maumoz EMMANUEL. La Sonate (piano et violon), de César Franck, sera exécutée per ue Blanche SELVA et M. Firmin TOUBRE. Vendredi {1 avril, à 5 heures La Poésie de M®° de NOAILLES Conférence de M. Anpré BEAUNIER. M=° SIMONE dira des vors du Cœur Innombroble et des vers inédits de l’œuvre à paraître prochainement. Le Journal de l’Université des Annales publie in extenso et fllustre de 1, 250 gravures toutes les Conférences faites à L’Université des Annales L’Année Scolaire, de 25 N° : Abonnt 10 FRANCS (15 francs pour l’Étrange :). SOMMAIRE da N°86 (1e avril 1913) Comment j’aurais défenda Lady Machdth M° HENRI-ROBERT Le Château d’Anet Henry ROUJON Les Femmes de la Renaissance Franrz FUNCK-BRENTANO Poëmes de Louisa Lanr ; sonnets de Roxsanp et de Joss-Manma Dr HeneniA. Fêtes Romaines Srras BASSÉT 50 Illustrations, vieilles estampes, portraits, photos. Les abonnés reçoivent de suite les huit numéros déjà t la Prime : ’ $ OM PT EAS rime : Le Livre d’Or des Légende :. UNIVERSITY OF MICHIGAN