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Or, si tous les ménages s’imposaient tendrement cette règle, je veux dire ce régime… de s’offrir chaque semaine, l’un à l’autre, au moins une soirée, ce qui en ferait tout de même deux au bout du compte, il y aurait déjà beaucoup moins de neurasthéniqnes sous les lustres électriques des salons, et le régime de la table pourrait, sans dommage, être un peu haussé de ton. L’art de vivre… c’est un art difficile et charmant qu’on ne pratique guère, et pour toutes sortes de mauvaises raisons. La principale, c’est qu’on n’y attache aucune importance : on prend la vie ou comme une aventure qu’il faut essayer de rendre joyeuse, à grand bruit de mirlitons…, ou comme un gros ballon rempli de vent et de frivolité, dans lequel on soufflerait en faisant < tuu » ! Regardez certaines petites femmes dans le train et dites-moi si, à les voir s’agiter dans leurs jupes entravées et perchées sur leurs hauts talons, vous n’avez pas envie de leur appliquer la boutade de Rabelais : € Quand je dy femme, je dy un sexe tant » fragile, tant variable, tant muable, tant imparfait, que nature me semble — parlant » en toute honnesteté et révérence — s’être > égarée de ce bon sens par lequel elle avait » créé et formé toutes choses, quand.elle ha » basti la femme. »

La chose la plus rareà notre époque, c’est un peu de bon sens. Certes, les Parisiennes courageuses, spirituelles, artistes, brillantes, travailleuses, ne manquent pas ; elles sont légion, etpresque toutes ont une valeur personnelle. Mais des femmes simples sachant dominer leurs passions, ou, si vous préférez, leurs nerfs et tenir dans leurs petites mains le gouvernail de la vie, avec ce qu’elle comporte de difficultés, d’écueils et de tempêtes, cela, c’est infiniment rare… Il semble que les femmes dépensent toute leur énergie d’un coup, par bonds et saccades, sans prendre la peine de la ménager, ni de la régler, ni d’en assurer la durée, ni de prévoir les conséquences d’un acte quelconque ; la Fantaisie les mène à la va-où-je-te-pousse, et aussi, quelquefois, à la dérive… Il n’entre dans ces jeunes vies aucun équilibre, et quoiqu’il s’y dépense une bonne volonté extrême, c’est souvent en pure perte. Point de patience, — ce génie des âmes courageuses, — point d’esprit de suite, cette force que le temps fait invincible ; il faut que le bonheur soit juste à la portée de la main et qu’on le saisisse au galop, ou alors on le boude.. Bougeotte et Fantaisie, voilà les deux éléments modernes, et ce ne son ! pas. positivement ceux qui font « l’art de vivre >, de bien vivre…

Si tant de santés sont détraquées malgré les miracles de l’hygiène, malgré des régimes supérieurement combinés, je ne doute point un instant qu’il en faille chercher les causes dans les maladies de l’âme, qu’on ne soigne pas assez… Cela est fort élégant de chipoter quelques tostes rôtis et un bout de viande grillée, arrosés d’une boisson chaude. Cela est élégant et digestif. mais l’estomac n’est si délicat que parce que l’équilibre qui régit à la fois le moral et le physique se trouve rompu. La conscience est mal satisfaite, elle dit confusément les heures gâchées, les journées vides et, cependant, effroyablement trépidantes, et l’inutilité de ces occupations mondaines dont l’excès seul est un défaut. Prises en agréables distractions, elles gardent leur charme et sont le plus aimable des desserts. Une jeune femme a besoin de régler les mouvements de son cœur autant que ceux de son estomac, et la meilleure hygiène, à mon sens, serait celle qui apprendrait L’Art de Vivre, dans toute la beauté et la grandeur du terme.


LES ANNALES

L’art de vivre en paix avec soi-même, sans agitation, sans bougeotte éperdueet avec la volonté ferme d’un idéal, avec le désir d’une bonté heureuse de se dépenser ! « L’Amour est la cause du monde, et — dit un proverbe hindou — il faut donner un lit au malade, un siège à l’homme fatigué, de l’eau à qui a soif, des aliments à qui a faim. Il faut donner ses yeux, il faut donner son âme, il faut donner sa parole gracieusement dite. » Oui, il faut donner tout cela, mais il faut en trouver le temps, et c’est pourquoi le régime moral est utile. Un plan heureux de vie avec toutes choses bien ordonnées, laissant les obligations profondes du cœur à leur vraie pace, mari, enfants, maison… et les frivolités où il est délicieux de les cueillir, cela dispense, assurément, de bien des gymnastiques suédoises, de bien des frictions sèches et de presque toutes les chinoiseries alimentaires. Je sais grand gré au docteur Carrière de n’avoir point séparé, dans son petit livre, le moral du physique et d’avoir crânement terminé ses conseils sur l’art de vivre par celui-ci, qui est de Victor Hugo : Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le [front,

Ceux qui d’un haut destin gravissent l’Apre cime, Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime, Ayant devant les yeux, sans cesse, nuit et jour, Ou quelque saint labeur, bu quelque grand amour. YVONNE SARCEY.

SELE5€50LE5€SE52LE50LE 550525€5€72 6VE1€ Pour l’Église de Montchauvet

On sait que l’église de Montchauvet est celle du petit village que notre éminent collaborateur et ami, M. Jean Richepin, ad : ministre en qualité de maire. Les cloches n’y sonnent plus, depuis que les tours sont démolies, et le poète a adressé à notre Cous sine Yvonne Sarcey l’émouvante lettre que nous avons publiée dans notre dernier numéro, et dans laquelle il exprime le souhait de faire reconstruire ce clocher plein de souvenirs, avec l’aide de ses amis des Annales et de L’Université des Annales. Nous publions avec joie la première liste de souscription :

Les Annales, 100 fr. — L’Université des Annales, 100 fr.

— M. Adolphe Brisson, 100 fr. — Yvonno Sarcey, 100 fr. — Mne Pierre Ginisty, Lilie, Andréc et Pierro Brisson ; 100 fr. — Mie Asselin, à Paris, 6 fr. — Mne M. do Commynes, à Paris, 20 fr. — Mme Amiot, À Neuilly, 20 fr. — M. Papilloux, à Moulins, 2 fr.

— Moe Julien Morize, à Paris, 6 fr. — Anonyme, O fr. 60. — Mnwe Marcel Andriveau, à Paris, 10 fr. — Mne Folsom, à Paris, 10 fr. — M®* Palasse, à Jardin. Fontaine, près Verdun, 2 fr. — M.T…, de Lyon, £ fr. — Mre Deblangy, à Compiègne, 6 fr. — Colonel Cally, à Paris, 6 fr. — Mie ’Jane Alfassa, à Paris, 20 fr. — Mme Edouard Richard, à Paris, 5 fr. — Mne Siegfried, à Paris, 80 fr. — Mme Charles Turban, à Paris ; 10fr. — Mie Petitdemenge, à Saacy, 1 fr. — L. L…, 2 fr. — M. et Mnm° Edmond Bourgain, à Paris, 10 fr. — M. Paul Collin, à Paris, 6 fr. — M. Armand Descande, à Biarritz, 6 fr. — I, D. O., 1 fr. — E. V…, à Paris ; 2 fr. — Mie Marguerite Roussel, à Amiens, 6 fr. — Mie Marthe Richard, à Paris, 6 fr. — Mme L Ponthas, 4 Paris, 10 fr. — P. L.., au Creusot, 1 fr. — Mie Rambaud, à Paris, 6 fr. — Mne Lepel Cointet, À Paris, 20 fr. — Mile do Bonvouloir, à Paris, 10 fr. — Mroe Loire, à Paris, 20 fr. — Mme Amédée Robin, à Paris, 10 fr. — Mrne Georges Billotte, à Paris, 10 fr. — Me Cousino, à Paris, 20 fr. — Mrs Briel, à Paris, r

,. — Mie Charlotte Baschet, à Paris, 6 fr. — Mr Alex. do Geiger, À Paris, 20 fr. — Mme Paul Cuny, à Paris, 10 fr. — Mwæ et Mie Serguicff, à Versailles, 6 fr. — Mme Daudin, à Paris, 6 fr. — Me A. Avias, Les Granges-de-Mirabel, 3 fr. — Baron Deslandes, à Paris, 20 fr. — MBaronne Frnest Seil. lière, à Paris, 20 fr. — M. Lepeu, à Patis, 5 fr. — Mre Raba Deutsch de la Meurthe, à Paris, 20 fr. — M. de Corny, à Paris. 6 fr. — Mme Emile Trotry, à Paris, 10 fe. — Mie Bruno, à Angoulème, 2 fr. — Mere Maurice Lunyt, à l’aris, 20 fr. — Mme et Mie Schmitt-Sauquet, à Nouilly, 10 fr. — Mile Schnecberger, àParis, 6 fr. — Mie de Cerjat, à Paris, 6 fr. — Mb Jehn, à Paris, 6 fr. — Mme Emile Garnier, à Paris, 10 fr. — Mme Rougé,.à Tours, 6 fr. — Mms Thomson, à Paris, 10 fr. — Ml Germaine Dauphin, 8 fr. — Une cousine de Neuilly, 3 fr. Total de [a première liste : 1, 018 fr. 60. (A suivre.)


MOULINS
D’AUTREFOIS

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PREMIÈRE PARTIE

I

Jean Garric, dit « Jeantou », et Aline Terral, appelée familièrement « Line, Linette », ou « Linou du Moulin », naquirent le même jour, le jour de la Saint-Jean, mais à deux années de distance, sur la paroisse de La Capelle-des-Bois, une grande mais pauvre paroisse du haut Ségala, de cette agreste et fraîche partie du Rouergue qui s’étend à l’est et au sud-est de Rodez, et, par plateaux successifs où alternent landes, bois, prairies et cultures, court, entre deux sommets culminants, le Lévezou et le Lagast, puis descend en terrasses plus étroites et profondément sillonnées par le Rance, le Giffou, la Durenque, le Céor et une foule d’autres ruisseaux, vers les gorges encaissées du Tarn et la plaine fertile de l’Albigeois.

Les parents de Jeantou étaient de très chétifs terriens, cultivant un maigre champ, élevant quelques brebis sur un petit pré et une pauvre pâture plantée de cinq ou six gros châtaigniers, mangeant du pain de seigle dans les bonnes années, du pain d’avoine, des pommes de terre et des châtaignes, dans les mauvaises.

Le père Garric, vaguement menuisier, fabriquait quelques meubles pour les maisons les plus pauvres de La Capelle, et plus souvent des clôtures pour les champs et les prés des paysans aisés de la région. Il élaguait aussi les arbres et tressait des corbeilles et des paniers.

Aline était la plus jeune fille du meunier de La Capelle, un meunier relativement cossu, ayant toujours en activité deux couples de meules, une scierie renommée dans tout le pays, plus un bon bout de bien bordant le ruisseau et encadrant l’étang dont l’eau faisait gaiement tourner ses roues.

Le pré de Garric et sa pâture dévalaient en pente rapide au-dessous de sa maisonnette du Vignal jusqu’aux prés et à la châtaigneraie du meunier. Et c’est pourquoi quand Jeantou, sur ses sept ans, ayant troqué ses jupes contre un pantalon de serge et une veste taillée dans une vieille cotte de sa mère, commença à garder les ouailles du père Garric, il aperçut souvent Linon Terral qui, toute frêle et toute mignonne, vive comme une abeille, douce à voir avec ses yeux noisette sous ses fins cheveux blonds, accompagnait souvent sa sœur aînée ou ses deux frères à la garde des bœufs et des vaches du meunier.

Une forte haie de noisetiers, d’églantiers et d’aubépines, jalonnée de chênes, séparait la pâture de Garric des prés de Terral ; et longtemps le petit pâtre se contenta d’épier à travers les branches les jeux, les luttes ou les dînettes des enfants du voisin. Il n’osait ni pénétrer chez eux, ni leur parler, ni même répondre à leurs chants par d’autres chants, comme font souvent chez nous les bergers, d’une colline à l’autre. Jeantou était né timide et doux, un peu pataud ; et à sa timidité naturelle s’ajoutait le sentiment de la pau-