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L’ABBAYE D’AINAY

pas s’éteindre si facilement. Ils poursuivirent leurs victimes jusqu’au-delà du tombeau et inventèrent, contre ces restes inanimés, un nouveau genre de persécution dont les bêtes féroces semblaient seules capables. La haine du gouverneur et du peuple s’allumait contre nous avec d’autant plus de violence qu’elle était plus inique. Il fallait que cet oracle de l’Écriture s’accomplît : Que la malice du méchant croisse encore ; que la justice du juste augmente toujours[1]. Ils jetèrent donc à la voirie les corps de ceux qui avaient succombé à l’infection et aux autres incommodités de la prison ; et, de peur que quelqu’un d’entre nous ne leur rendît le devoir de la sépulture, ils les firent garder nuit et jour. Ils ramassèrent aussi en monceaux les débris des corps qu’avaient épargnés les bêtes ou les flammes, les têtes et les troncs de ceux que le glaive avait immolés, et confièrent à des sentinelles la garde de ce trophée de leur barbarie. À la vue de ces restes vénérés, les uns frémissaient de rage et regrettaient qu’ils ne fussent plus animés pour exercer sur eux de nouveaux supplices ; les autres leur insultaient et élevaient jusqu’aux nues la gloire des fausses divinités, à la puissance desquelles ils attribuaient la mort des martyrs. Les plus modérés semblaient prendre en pitié notre foi, et, comme pour nous la reprocher, ils disaient : « Où est leur Dieu ? À quoi leur a servi cette religion qu’ils ont préférée à la vie ? »

« Pour nous, nous n’étions sensibles qu’à la douleur de ne pouvoir pas ensevelir les corps de nos martyrs. Rien ne put favoriser nos désirs, ni les ténèbres de la nuit, ni les prières que nous faisions aux sentinelles, ni l’appât des récompenses que nous leur promettions. La plus douce récompense pour ces âmes féroces était de voir tomber en pourriture les cadavres dont on leur avait confié la garde.

« Ces corps chrétiens restèrent ainsi pendant six jours exposés à toutes sortes d’outrages. Enfin, les païens les brûlèrent et en

  1. Apocalypse, chap. xxii, 11.