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des frais formidables qu’a entraînés la guerre elle-même, auront à réparer les ruines qu’elle a causées.

Entendons-nous ; je ne demande, pour les Allemands, aucun traitement qui ressemble à une punition. Qu’ils en aient mérité une, c’est une question qui n’a rien à voir en ce qui concerne la paix.

La paix à envisager pour ceux qui avaient mission de la préparer, devait être que tout en étant la plus juste possible pour le vainqueur, elle ne violât pas le droit des gens chez le vaincu et qu’elle n’imposât pas des réparations qui fussent un esclavage économique déguisé, si justes qu’elles puissent être en fait.

Si les paiements qu’on leur impose n’entraînent, pour eux, qu’un léger excès sur les charges que les victimes de l’agression auront elles-mêmes à supporter, les Allemands ne peuvent avoir aucun motif de se plaindre.

Les Allemands gueulent qu’on veut les dépouiller. Il ne faut pas oublier que c’est leur méthode de gueuler, lorsqu’on les empêche de dominer et de voler les autres. Ne leur serait-il imposé aucun remboursement de ce qu’ils ont volé, aucune réparation des ruines qu’ils ont faites, sans autre raison que de ruiner les industries concurrentes, qu’ils gueuleraient que la justice est violée en leur personne, parce qu’on se refuserait à leur payer les innombrables milliards qu’ils avaient rêvé d’arracher à ceux qu’ils voyaient déjà sous leurs talons. Leurs gueulements ne sont pas une preuve de leur mauvais traitement.

Le résumé de ces conditions qu’on a bien voulu nous laisser connaître, comporte trop de connaissances spéciales diverses pour qu’un seul individu puisse donner un avis parfaitement motivé. Je me borne donc à la seule critique de ce que je comprends.

Ceux qui ont élaboré ces conditions, se sont-ils tenus dans cette juste mesure ? Tout est là.

C’est au fur et à mesure que devront s’exécuter ces différentes conditions que nous verrons comment elles travaillent.

Comme M. Scheidemann l’avait déclaré, c’est de toute impossibilité de retourner à l’état de choses d’avant la guerre. On arrache donc à l’Allemagne les pays qu’elle a volés dans le passé, et on reconstitue leur nationalité, ce n’est que justice.

Ce que l’on peut dire, d’ores et déjà, c’est que si on a cherché à ne pas trop heurter le sentiment des peuples, dans l’ordre politique et même cherché à lui donner satisfaction, en fait, dans l’ordre économique, ce sont les capitalistes qui ont dicté leurs conditions, leur volonté primant sur celle des peuples, lorsque l’intérêt de ceux-ci était en conflit avec l’intérêt de ceux-là.

M. de Rantzau s’élève contre, sous prétexte que la reconstitution des dites nationalités risque de ressusciter l’esprit de nationalisme chez ces peuples, et occasionner de nouvelles difficultés ! M. de Rantzau en a de bien bonnes !

Le parti socialiste français, dans un manifeste, fait une objection plus sérieuse, si elle est exacte. « Pour reconstituer ces nationalités, la Pologne entre autres, on attribuerait à celle-ci des portions de territoires dont la population n’aurait rien de polonais. Si c’est ainsi, c’est une violation du droit des gens, c’est un crime et une faute. Et toute faute se paie tôt ou tard.

Est-ce à dire que, à part cette légère critique, je trouve le traité de paix parfait, et ses clauses excellentes ? Loin de là.

Tout le long de la guerre, on nous avait affirmé que c’en était fini avec les intrigues de la diplomatie secrète ; que les peuples devaient être consultés sur leur propre sort, et redevenir maîtres de disposer d’eux-mêmes.

Et tout le long de cette guerre, cela a été des marchandages à n’en plus finir, des maquignonnages innommables ; les concours se sont fait acheter par des promesses de cessions de territoires qui n’appartenaient pas plus à ceux qui en disposaient qu’a ceux qui les réclamaient.

Tout le long de la guerre, il ne fut pas, dans la presse, permis de discuter de ce que devrait être la paix ni de ses conditions.

Et, enfin, lorsque est venu le moment de discuter de ces conditions, les gouvernants se sont entourés du mystère le plus épais ; il n’a été permis à la presse de ne publier des discussions que ce qu’il plaisait au gouvernement. Quant au peuple, non seulement on ne l’a pas consulté, mais la censure a continué à interdire la discussion des points qu’il ne plaisait pas aux maîtres de l’heure de laisser discuter.

Pour la presse, elle n’a que ce qu’elle mérite. Sous prétexte d’« entente sacrée » mais, en réalité, parce que les propriétaires de journaux préféraient sacrifier le bien public que leurs intérêts particuliers, elle s’est prêtée à la censure la plus arbitraire, la plus anti-libérale, sans tenter le moindre effort de résistance.

Quant au peuple ! puisque, lui aussi, accepte d’être muselé, et qu’il laisse faire, on peut dire qu’il est traité selon ses mérites.

Mais si la presse a été invitée à se taire, si le peuple n’a pas été consulté, on a, par contre, mobilisé des milliers et des milliers de diplomates, de politiciens, d’experts de toutes sortes, en vue de l’élaboration de ces conditions. Et connue ces conditions se sont cuisinées dans l’ombre et le mystère, on accuse ceux qui les ont cuisinées, de s’être inspirés davantage des intérêts de combinaisons financières privées que des véritables intérêts des