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populations. La défiance et la suspicion sont le résultat le plus net d’une politique secrète.

On nous avait juré qu’on se battait pour que les peuples puissent disposer d’eux-mêmes, pour rétablir dans leur indépendance ceux qui étaient opprimés ; que les Alliés répudiaient, d’avance, tout esprit de conquête ou d’annexion ! Et, au cours de la guerre, on achetait les concours par des promesses d’annexions. Voilà six mois que la guerre est virtuellement finie, et nous n’avons pas la paix, parce que l’on ne sait comment satisfaire tous les appétits contradictoires qui réclament, aujourd’hui, d’être satisfaits.

On rétablit bien l’indépendance des petites nations qu’opprimaient l’Allemagne et ses Alliés, mais, semble-t-il, plus en vue de nouvelles combinaisons politiques qu’en vue du respect du droit des peuples.

Pour satisfaire à l’impérialisme des chauvins français, on fait une annexion déguisée du bassin de la Sarre, au lieu de faciliter à la population de se donner un régime indépendant, de son choix.

Pour satisfaire l’impérialisme italien, on veut italianiser des territoires dalmates, croates, violant le droit des peuples que l’on se vantait de défendre.

Pour satisfaire l’impérialisme des colonies anglaises, l’Australie, notamment, on procède à un partage déguisé des colonies allemandes, au lieu de les placer sous l’administration d’une Commission internationale ; non pas de politiciens, mais d’hommes capables, connus pour leur droiture, pour leur largeur de vues, qui auraient administré ces territoires pour les occupants, y compris, et surtout, les indigènes, et non pour des maîtres.

Il est entendu que, après tout le mal qu’a fait le contact prolongé des blancs et des populations indigènes, il n’est plus possible de remettre aux indigènes seuls le gouvernement de leur pays. Autant pour leur propre bien que pour les relations à entretenir avec les Européens, ces Commissions internationales auraient pu être le moyen de préparer l’évolution qui, peu à peu, aurait amené l’effacement et l’oubli du mal fait par les Européens, et préparer les indigènes à reprendre leur indépendance.

Mais, dira-t-on, c’est sous le mandat de la « Société des Nations », et non pour leur profit personnel, que les nations européennes qui auront l’administration des territoires qui leur seront répartis, devront les gérer.

Quelle bonne blague ! La « Société des Nations » n’existe que de nom, et n’est qu’un prétexte à établir quelques nouvelles sinécures bien payées.

« La Société des Nations » n’a pas été établie, mais loin d’en faire un reproche à ceux qui ont maquignonné la paix, je me félicite de ce qu’ils ont échoué.

« La Société des Nations » qu’il voulait nous « coller », n’était pas une « entente des peuples », mais une entente des syndicats gouvernementaux.

Ce qu’ils sont parvenus à accoucher ne fera, certainement pas le bien qu’une véritable entente des peuples aurait fait, au point de vue du maintien de la paix, mais sera, certainement, incapable de faire tout le mal que serait capable de faire un gouvernement international surajouté aux gouvernements nationaux.

L’entente des peuples que se sont refusés à faire les gouvernements, peut se faire en dehors d’eux, par l’internationalisation des diverses associations qui se forment dans les différentes branches de l’activité humaine.

On nous avait promis la fin du militarisme, et, pour la France, tout ce que l’on trouve, c’est de continuer la politique des armements et la militarisation de la population.

On tente de détruire le militarisme allemand, en ne lui permettant qu’une armée réduite, c’est vrai ; mais, faute d’avoir recours au vrai désarmement, au désarmement général, on inflige à l’Allemagne une armée de mercenaires, une armée de métier, la pire forme des armées.

C’est que, diplomates et politiciens – qui en sont arrivés à croire que ce sont eux, et non leurs peuples, qui ont gagné la victoire, – ont une peur bleue d’avoir, un jour, des comptes à rendre.

Toutes leurs combinaisons tournent autour de cette crainte d’une révolution sociale. Toute leur action est en vue de fortifier la réaction en Allemagne, en Autriche, en Russie, dans la Pologne reconstituée, en vue d’établir des barrières contre ce qu’ils appellent le « bolchevisme ».

Les insensés qui ne voient pas que le meilleur moyen de retarder la révolution serait de gouverner honnêtement, ouvertement, pour le plus grand bien de tous, et non en favorisant les tripotages des agents des coalitions industrielles ou financières ; que le plus sûr moyen d’exciter les colères et les troubles, c’est d’aller contre le courant populaire, en favorisant la réaction.

Pour satisfaire l’impérialisme japonais, – tout aussi insatiable, sinon plus, que l’impérialisme allemand – on arrache à l’Allemagne Kiao-Tcheou, c’est vrai, mais au lieu de le retourner à la Chine à qui il appartient, on le donne aux Japonais, avec une province, Shantung, de 30 millions d’habitants.

Or, paraît-il, cette contrée contient toutes les mines de fer et de charbon de la Chine, ce qui explique les convoitises japonaises, mais ne les justifie pas.

Tout le long de la guerre, on a empêché les républicains grecs qui étaient avec les Alliés, de proclamer la république chez eux, pour protéger