Page:Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1606.pdf/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
SOUSPIRS

XI.



J’adore vos beaux yeux & deteste l’horreur
De vostre cruauté, meurtriere de mon ame,
Et me desplaist de voir qu’une si belle Dame
Avec tant de beautez loge tant de rigueur.

Las ! s’il est destiné qu’à mon fatal malheur,
Vos yeux en mon humeur facent durer leur flame,
Permettez que ma main, mon triste cœur entame,
Pour chasser de mon sang, ma vie & ma douleur.

Ne me vaut-il pas mieux qu’une heure bien-heureuse
Termine en un moment ma vie langoureuse :
Qu’apres vous vivottant mourir cent fois le jour.

Laissez moy donc tuer : mais tuez moy vous mesme
Afin que plus constant dedans les mains que j’ayme
Je laisse ma douleur, ma vie & mon amour.


XII.



Je ne suis plus celui qui respiroit la vie
De vos yeux, mon Soleil, je ne suis qu’un vain corps,
Amour qui m’a frappé de ses traits les plus forts
Pour triompher de moy, a mon ame ravie :

Mon esprit erre en bas en la plaine obscurcie,
Et mon corps au tombeau, croist le nombre des morts :
Ma vie sous l’horreur des meurtrissans efforts
Qui bourrellent mon cœur, de moy s’est departie.

Je suis l’ombre amoureux de vos rayons formé,
Lorsque de vos beautez chastement enflammé,
Je tirois de vos yeux une seconde essence.

Puis doncques que je suis de vous seule animé,
Il faut que comme vous, de vous je sois aymé,
Ou pour le moins nourry d’une juste esperance.