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SOUSPIRS

Car comme vous voudrez, que je vive ou je meure,
Que mes momens soyent ans, & tout mon temps une heure,
J’auray pour agreable & la vie & la mort.


VII.



Ce sont vos yeux cruels causes de mon dommage
Qui meurtrissent mon cœur, & qui froissant mes os
Me privent du bon-heur du coustumier repos,
Faisant de mes poulmons un inhumain carnage.

Rien que vos yeux meurtriers ne met en mon courage
Le soin melancholicq marque de mes travaux,
Que l’esprit m’accablant, de mille & mille maux
Change ma passion en furieuse rage,

Vos yeux sont mon malheur, & cependant mon ame
Languissant dedans moy, ne respire autre flame
Que les heureux rayons, qu’elle en va souspirant :

Ainsi d’un beau malheur ma vie se contente,
Et n’osant esperer tandis que je lamente
Il faut que par mes yeux je vivotte en mourant.


VIII.



De fureur, de soucy mon âme tourmentee
Sous vostre cruauté, désire contre un fer,
Caché dedans mon cœur, tresbucher en l’enfer,
Pour s’aller rafraischir en l’onde Acherontee :

Mais lors que de tel soin je la sens agitee,
Voulant dedans mon sang teindre un mortel acier,
Vos yeux tiennent ma main, & me font desirer
La vie que j’en ay heureusement succee.

Et vous qui cognoissez qu’avec toute puissance
Vous maîtrisez mon cœur, & cette belle essence,
Dont l’heureuse chaleur me fait vivre icy-bas.

Vous vous jouez de moi, & d’une bonne grace
Cruelle, vous voulez ores que je trespasse,