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Et retiendra encor tant que j’auray pouvoir
Mesmes apres la mort esprit de m'esmouvoir,
Mais dés cest heureux temps & que j'ose vous dire,
Ou de bouche ou par vers mon bien heureus martyre,
Ha ! que j'ay eu au cœur vray & fidele amant,
De soucy, de travail, de peine, de tourment,
Vous ne l'ignorez pas : car ma perseverance
Peut de mon juste amour vous donner cognoissance,
Si vous n'avez cruelle en la place du cœur,
D'un acier, d'un glaçon, la durté, la froideur,
Car depuis qu'au premier je vous voue ma vie
Vous estes a desdain d'estre de moy servie,
Vous monstrant assez douce, & d'asseurant d'avoir
Part en vostre amitié telle que peut avoir
Le serviteur fidele, & receutes facile
Les souspirs que j'avois arrestez sous le stile,
Qui par vostre faveur se rehaussant tousjours,
Vous a esté tesmoins de mes humbles amours.
La Lune ce pendant diversement rouante,
Par vingt & quatre fois en sa course inconstante
A marqué mesme point, qu'a vostre volonté
J'ose rendre en vos mains seve ma liberté,
Mené diversement sur l'incertain Neptune
Ou conduit par l'amour je vay courant fortune,
En mon divers destin, quelquefois bien heureux
Lors que je respirois d'un œil tout langoureux
Je ne puis dire quoy tant mon ame contente,
Se perd en ce plaisir, quelle se represente,
Puis aussi quelquefois malheureux quand le sort
Dessus mon pauvre cœur s'aigrissoit, mais à tort,
Et que de l'air heureux dont la vie il me donne
Il formoit le tourment dont la rigueur m'estonne,
Car vrayment vos beaux yeux m'ont jetté doucement