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Mais helas ! dedans moy mon malheureux dommage
S'agrave tellement, que je n'ay pas courage
Quand je suis avec vous, de vous dire comment
Je suis de jour en jour pressé de mon tourment,
De sorte qu'aussi tost que ma bouche est ouverte
Pour vous conter l'erreur qui cause de ma perte
A fait que bien heureux, en vous me retrouvant,
Je suis bien fortuné, un miserable amant,
La parole me faut, & ne vous sçaurois dire
Ni mon bien, ni mon mal, ni ce que je desire,
Et en parlant à vous, je ne puis exprimer
Tant mon cœur est surpris, ce qui me fait aimer,
Mais eslongné de vous, j'ay l'ame audacieuse,
A mille beaux desseins elle est advantureuse,
Elle me fait parler, & d'un propre discours
Vous faire le récit de mes humbles amours,
Vray signe de respect, à qui couve en son ame
Comme moy, les brasiers d'une pudique flame,
Et marque à quelques uns de n'avoir encor' veu
Ce qui est en amour des plus accorts cogneu :
En esprit je vous voy, à vous je me presente,
Hardi & plain de cœur, la fortune je tente,
J'ordonne mes raisons, vous descouvrant mon cœur
Et heureux & discret j'euse de ma valeur,
Je vous dy mon secret, je vous dy ma pensee,
Mon souci, mon desir, & quelle destinee
Je veux suivre en aimant s'il vous vient à plaisir
Pour fruict de mes travaux serviteur me choisir.
Je vous promets beaucoup & fidelle je jure
D'essayer vous aimant toute estrange advanture.
Voila comme à part moy je basti mes dessins
Tandis que vous plus sage ordonnés mes destins.
Or parlons librement, dites moy je vous prie,