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assurément il ne pouvait déguster l’un sans songer à l’autre.

M. et Mme Follenvie dînaient tout au bout de la table. L’homme, râlant comme une locomotive crevée, avait trop de tirage dans la poitrine pour pouvoir parler en mangeant ; mais la femme ne se taisait jamais. Elle raconta toutes ses impressions à l’arrivée des Prussiens, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, les exécrant d’abord parce qu’ils lui coûtaient de l’argent, et, ensuite, parce qu’elle avait deux fils à l’armée. Elle s’adressait surtout à la comtesse, flattée de causer avec une dame de qualité.

Puis elle baissait la voix pour dire des choses délicates, et son mari, de temps en temps, l’interrompait : — « Tu ferais mieux de te taire, madame Follenvie ». — Mais elle n’en tenait aucun compte, et continuait :

— « Oui, madame, ces gens-là, ça ne fait que manger des pommes de terre et du cochon, et puis du cochon et des pommes de terre. Et il ne faut pas croire qu’ils sont propres. — Oh non ! — Ils ordurent partout, sauf le respect que je vous dois. Et si vous les voyiez faire l’exercice pendant des heures et des jours ; ils sont là tous dans un champ : — et marche en avant, et marche en arrière, et tourne par-ci, et tourne par-là. — S’ils cultivaient la terre au moins, ou s’ils travaillaient aux routes dans leur pays ! — Mais non, madame, ces militaires ça n’est profitable à personne ! Faut-il que le pauvre peuple les nourrisse pour n’apprendre rien qu’à massacrer ! — Je ne suis qu’une vieille femme sans éducation, c’est vrai, mais en les voyant qui s’esquintent le tempérament à piétiner du matin au soir, je me dis : — Quand il y a des gens qui