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LES SOIRÉES DE MÉDAN

nique, balayait la grande rue de Rocreuse. La lutte, désormais, ne pouvait être longue.

Ah ! le pauvre moulin ! Des boulets le perçaient de part en part. Une moitié de la toiture fut enlevée. Deux murs s’écroulèrent. Mais c’était surtout du côté de la Morelle que le désastre devint lamentable. Les lierres, arrachés des murailles ébranlées, pendaient comme des guenilles ; la rivière emportait des débris de toutes sortes, et l’on voyait, par une brèche, la chambre de Françoise, avec son lit, dont les rideaux blancs étaient soigneusement tirés. Coup sur coup, la vieille roue reçut deux boulets, et elle eut un gémissement suprême : les palettes furent charriées dans le courant, la carcasse s’écrasa. C’était l’âme du gai moulin qui venait de s’exhaler.

Puis, les Français donnèrent l’assaut. Il y eut un furieux combat à l’arme blanche. Sous le ciel couleur de rouille, le coupe-gorge de la vallée s’emplissait de morts. Les larges prairies semblaient farouches, avec leurs grands arbres isolés, leurs rideaux de peupliers qui les tachaient d’ombre. À droite et à gauche, les forêts étaient comme les murailles d’un cirque qui enfermaient les combattants, tandis que les sources, les fontaines et les eaux courantes prenaient des bruits de sanglots, dans la panique de la campagne.

Sous le hangar, Françoise n’avait pas bougé, accroupie en face du corps de Dominique. Le père Merlier venait d’être tué raide par une balle perdue. Alors, comme les Prussiens étaient exterminés et que le moulin brûlait, le capitaine français entra le premier dans la cour. Depuis le commencement de la campagne, c’était l’unique succès qu’il remportait. Aussi, tout enflammé, grandissant sa haute taille, riait-il