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LES SOIRÉES DE MÉDAN

Elle regardait la porte par laquelle son père venait de disparaître. Et, d’un geste lent, elle portait la main à son front, comme pour l’empêcher d’éclater.

L’officier tourna sur ses talons, en répétant :

— Vous avez deux heures. Tâchez de les utiliser.

Elle avait deux heures. Cette phrase bourdonnait dans sa tête. Alors, machinalement, elle sortit de la cour, elle marcha devant elle. Où aller ? Que faire ? Elle n’essayait même pas de prendre un parti, parce qu’elle sentait bien l’inutilité de ses efforts. Pourtant, elle aurait voulu voir Dominique. Ils se seraient entendus tous les deux, ils auraient peut-être trouvé un expédient. Et, au milieu de la confusion de ses pensées, elle descendit au bord de la Morelle, qu’elle traversa en dessous de l’écluse, à un endroit où il y avait de grosses pierres. Ses pieds la conduisirent sous le premier saule, au coin de la prairie. Comme elle se baissait, elle aperçut une mare de sang qui la fit pâlir. C’était bien là. Et elle suivit les traces de Dominique dans l’herbe foulée ; il avait dû courir, on voyait une ligne de grands pas coupant la prairie de biais. Puis, au-delà, elle perdit ces traces. Mais, dans un pré voisin, elle crut les retrouver. Cela la conduisit à la lisière de la forêt, où toute indication s’effaçait.

Françoise s’enfonça quand même sous les arbres. Cela la soulageait d’être seule. Elle s’assit un instant. Puis, en songeant que l’heure s’écoulait, elle se remit debout. Depuis combien de temps avait-elle quitté le moulin ? Cinq minutes ? une demi-heure ? Elle n’avait plus conscience du temps. Peut-être Dominique était-il allé se cacher dans un taillis qu’elle connaissait, et où ils avaient, une après-midi, mangé des noisettes