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LES SOIRÉES DE MÉDAN

votre fille l’avez aidé à fuir. Vous êtes son complice… Une dernière fois, voulez-vous nous le livrer ?

Le meunier ne répondit pas. Il s’était détourné, regardant au loin d’un air indifférent, comme si l’officier ne s’adressait pas à lui. Cela mit le comble à la colère de ce dernier.

— Eh bien ! déclara-t-il, vous allez être fusillé à sa place.

Et il commanda une fois encore le peloton d’exécution. Le père Merlier garda son flegme. Il eut à peine un léger haussement d’épaules, tout ce drame lui semblait d’un goût médiocre. Sans doute il ne croyait pas qu’on fusillât un homme si aisément. Puis, quand le peloton fut là, il dit avec gravité :

— Alors, c’est sérieux ?… Je veux bien. S’il vous en faut un absolument, moi autant qu’un autre.

Mais Françoise s’était levée, affolée, bégayant :

— Grâce, monsieur, ne faites pas du mal à mon père. Tuez-moi à sa place… C’est moi qui ai aidé Dominique à fuir. Moi seule suis coupable.

— Tais-toi, fillette, s’écria le père Merlier. Pourquoi mens-tu ?… Elle a passé la nuit enfermée dans sa chambre, monsieur. Elle ment, je vous assure.

— Non, je ne mens pas, reprit ardemment la jeune fille. Je suis descendue par la fenêtre, j’ai poussé Dominique à s’enfuir… C’est la vérité, la seule vérité…

Le vieillard était devenu très pâle. Il voyait bien dans ses yeux qu’elle ne mentait pas, et cette histoire l’épouvantait. Ah ! ces enfants, avec leurs cœurs, comme ils gâtaient tout ! Alors, il se fâcha.

— Elle est folle, ne l’écoutez pas. Elle vous raconte des histoires stupides… Allons, finissons-en.