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L’ATTAQUE DU MOULIN

demment, une ronde avait entendu leurs voix. Et tous deux debout, serrés l’un contre l’autre, attendaient dans une angoisse indicible. La porte fut de nouveau secouée ; mais elle ne s’ouvrit pas. Ils eurent chacun un soupir étouffé ; ils venaient de comprendre, ce devait être le soldat couché en travers du seuil, qui s’était retourné. En effet, le silence se fit, les ronflements recommencèrent.

Dominique voulut absolument que Françoise remontât d’abord chez elle. Il la prit dans ses bras, il lui dit un muet adieu. Puis, il l’aida à saisir l’échelle et se cramponna à son tour. Mais il refusa de descendre un seul échelon avant de la savoir dans sa chambre. Quand Françoise fut rentrée, elle laissa tomber d’une voix légère comme un souffle :

— Au revoir, je t’aime !

Elle resta accoudée, elle tâcha de suivre Dominique. La nuit était toujours très noire. Elle chercha la sentinelle et ne l’aperçut pas ; seul, le saule faisait une tache pâle, au milieu des ténèbres. Pendant un instant, elle entendit le frôlement du corps de Dominique le long du lierre. Ensuite la roue craqua, et il y eut un léger clapotement qui lui annonça que le jeune homme venait de trouver la barque. Une minute plus tard, en effet, elle distingua la silhouette sombre de la barque sur la nappe grise de la Morelle. Alors, une angoisse terrible la reprit à la gorge. À chaque instant, elle croyait entendre le cri d’alarme de la sentinelle ; les moindres bruits, épars dans l’ombre, lui semblaient des pas précipités de soldats, des froissements d’armes, des bruits de fusils qu’on armait. Pourtant, les secondes s’écoulaient, la campagne gardait sa paix souveraine. Dominique devait aborder