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son tour, lui qui avait déjà dormi. Elle quitta donc le banc et vint s’asseoir à l’intérieur de la charrette, sur la paille, à la place du jeune homme.

La toile goudronnée tendue autour des cerceaux garantissait Édith. Elle avait moins froid. Mais elle se trouvait tout près du cercueil. Et sa pensée se glissa avec horreur entre les quatre planches où chaque ressaut secouait un corps inerte. Maintenant il lui semblait que ce voyage funèbre devenait interminable. Elle regarda l’heure à sa montre. À peine deux heures et demie ! Encore quatre grandes heures de nuit à passer. Le jour venu, seraient-ils encore loin de Blois ? À Blois, si on lui avait dit vrai, elle devait trouver un train, elle passerait par Tours et Angers. Une fois en Bretagne… Là, tant d’ennuis en perspective, un tel bloc de devoirs cruels et de corvées insipides, que, pour s’empêcher d’y penser, elle se mit à faire parler Gabriel sur les premières choses venues :

Son régiment avait-il beaucoup souffert ? Son père et sa mère vivaient-ils encore ? Il était de Vitré ! La magnifique vue sur toute la vallée, de la place de l’église ! N’avait-il jamais eu de sœur ? Et, pour faire passer le décousu et l’in-à propos de la conversation, elle feignait de s’intéresser à ces choses. Sa voix arrivait à des inflexions d’intimité caressante. Gabriel se sentait très heureux.

Pourquoi, maintenant, de la part de cette femme, tant de familiarité affectueuse ? Gabriel ne cherchait pas à savoir. Même, passé ! avenir ! rien n’existait déjà plus pour lui. Rien que l’envahissante volupté de l’heure présente qu’il eût voulu éternelle. Sur son banc, une langueur l’envahissait. Ses réponses étaient courtes. Les guides, qu’il tenait toujours, lui sem-