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siéreuses, donnait dans une ruelle. La ruelle était étroite, et personne n’y venait, excepté les samedi, dimanche et lundi, où, des hommes en blouse, titubants, entraient et sortaient, habitués d’une sorte de cabaret borgne, tapi en un rez-de-chaussée du fond de la ruelle. Des éclats de voix avinées, jurons, disputes et chants bachiques, montaient ces jours-là. Et des hoquets vineux, des vomissements, se mêlaient au gargouillement des eaux de cuisine, vidées dans les plombs, à chaque étage. Mais, à une fenêtre d’en face, à l’étage supérieur, dans un encadrement de volubilis et de capucines grimpant le long de quatre ficelles, une jeune fille travaillait. À chaque instant, la voix sèche et brutale d’une mère la gourmandait : « Maria ! Maria ! » Pourtant Maria ne perdait pas une minute, cousait du matin au soir. On entendait continuellement le petit bruit de son aiguille ou de ses ciseaux. Seulement, les après-midis où la mère s’en allait au lavoir, un paquet de linge sur la tête, Maria prenait un peu de bon temps, se mettait à regarder dans la ruelle. Alors, lui, voyait apparaître son front éclatant de blancheur, ses abondants cheveux roux toujours en désordre. Parfois, elle s’amusait à cracher dans la ruelle ; elle essayait d’atteindre quelque chat en lui lançant une petite motte de terre prise dans la caisse aux volubilis. De clairs éclats de rire défaisaient soudain le fichu bleu croisé sur sa poitrine. Quelquefois aussi son regard plongeait dans le cabinet de l’huissier. Alors, lui, devenait rouge, baissait tout de suite le nez dans ses paperasses.

Et ce qui lui semblait très doux, à dix ans, pendant que, petit clerc, il recopiait les paperasses, c’était de se dire que cette Maria, âgée pourtant du double de