Page:Les Soirées de Médan.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

humilié, comme s’il eût reçu une aumône. Le cœur déjà plein de reconnaissance pour celle qui le secourait, il eût voulu lui baiser la main ; et pourtant il lui prenait des envies de pleurer.

La rougeur au front, réconforté par le rhum, mais surtout stimulé par la honte, il se mit debout. Le sac était resté à terre. Elle le ramassa, le porta elle-même jusqu’à la borne.

— Là, vous ne risquerez plus au moins d’être écrasé.

Et elle éleva sa lanterne. Le malheureux s’avançait clopin-clopant. Elle n’osa plus lui dire « dépêchez-vous ! » Elle fit même quelques pas à sa rencontre, élevant toujours la lanterne. Ses regards rencontrèrent ceux du blessé ; elle s’aperçut qu’il avait les yeux pleins de larmes. Elle remarqua aussi sa grande jeunesse. Un commencement d’intérêt naissait en elle. Elle lui adressa de nouvelles questions :

— Comment vous appelez-vous ?

— Gabriel… Gabriel Marty.

— De quel pays êtes-vous ?

— De Vitré.

Tiens ! de Vitré ! et elle, de Rennes ! Un Breton comme elle, presque un compatriote. Elle le regarda plus attentivement. La distinction de ce visage maigre, souffreteux, frappa la jeune femme. Elle se retourna vers le chariot. Un combat de nouveau se livrait en elle. En des circonstances ordinaires, elle aurait transporté ce garçon quelque part : dans une ambulance, ou jusqu’à la première auberge.

— Je ne puis pas !… je ne puis pas !…

En prononçant ces « Je ne puis pas », sa voix s’était attristée. Elle devait être sous le coup d’une grande