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jusqu’au milieu de la route. Un grand chariot à quatre roues, recouvert d’une toile goudronnée tendue autour de trois cerceaux en bois, arrivait sur lui au petit trot, n’était plus qu’à quelques pas. Essoufflé, épuisé, le blessé voulait appeler ; il n’arriva qu’à pousser quelques plaintes inarticulées. Pas de lanterne allumée ! il pouvait être écrasé. Heureusement, le cheval eut peur et s’arrêta net, recula même un peu.

— Qui est là ? s’écria une voix de femme.

Et le bruit d’un revolver qu’on armait, se fit entendre.

— Au secours !… Pitié ! Je suis blessé !…

Il ne put en dire davantage. Ses yeux se fermèrent, et sa tête retomba contre la boue gelée de la route.

Quand il rouvrit les yeux, quelques instants après, une vive clarté l’aveugla. La femme venait d’allumer une lanterne, et, du bord de la charrette, penchée vers lui, elle le regardait.

— Qui êtes-vous ? répétait-elle. Que faites-vous là, au milieu de la route ?

Sa voix chaude, musicale, un peu basse, étranglée par une violente émotion qu’elle s’efforçait de dissimuler, révélait une grande jeunesse. Très garantie contre le froid, empaquetée dans une énorme pelisse brune de paysanne sous laquelle elle devait porter un second manteau, elle avait mis le capuchon. On ne voyait rien de son visage. Sa main droite ne lâchait pas le revolver tout armé. Elle se méfiait. Des tentations lui venaient : éteindre tout à coup sa lanterne, faire faire un détour au cheval afin de ne pas écraser cette larve humaine gémissante qui obstruait la route, s’éloigner très vite. Mais, cela, ce serait fuir,